Bilan chiffré

Nous ne sommes pas vraiment en mesure de donner une évaluation précise du budget réel de notre voyage, mais nous pensons qu'il se situe dans un intervalle d'erreur inférieur à 10% par rapport à nos prévisions d'avant le départ, soit vraisemblablement entre 24000 et 27000 euros par personne. En revanche, j'ai pu calculer, à tête reposée et en reprenant les données accumulées pendant le voyage, quelques chiffres évocateurs permettant de donner une idée de l'extension quantitative de notre parcours. Certes, cette démarche a quelque chose non seulement d'un peu inutile, mais aussi de contradictoire par rapport à certaines critiques évoquées dans mon bilan général. Mais bon: la dérive quantitativiste, si elle constitue l'une des caractéristiques les plus évidentes du monde libéral stupidement utilitaire qui est le nôtre (avec son obsession pour les normes, les capacités techniques et les prix), correspond aussi chez moi à un tropisme naturel, visible dès l'enfance au travers de ces heures passées à jeter des dés sur le plancher de ma chambre pour en noter scrupuleusement la valeur, sur des pages entières de blocs-notes à petits carreaux.

La vision chiffrée de notre voyage nous apprend d'ailleurs un certain nombre de choses inattendues à son propos: par exemple le fait que notre tour du monde a été exceptionnellement long (en distance parcourue). A notre retour, j'avais le sentiment diffus que nous avions parcouru une distance totale égale, non pas à une fois de tour de la terre (le minimum pour passer par les antipodes), mais au moins deux fois cela. Il a fallu attendre près de dix mois après la fin de notre voyage pour réaliser que la réalité était encore supérieure. En fait, nous avons parcouru à peu près 3,08 fois le tour de la terre (plus de 123000 kilomètres, pas de quoi se vanter du point de vue du bilan carbone) en avion, bateau, tuk-tuk, à cheval et en scooter... C'est beaucoup, et en tout cas nettement plus que la moyenne des tourdemondistes, qui s'établit plutôt autour de 83000 kilomètres, si j'en crois les huit premiers bilans chiffrés mentionnant cette valeur que j'ai trouvés sur le web (respectivement 51000, 54000, 75000, 105000, 95000, 80000, 105000 et 105000). En fait, par rapport à la moyenne, on a tout simplement fait... l'équivalent d'un tour du monde de plus! Pas étonnant dans ces conditions que nous ayons fini l'expérience un peu fatigués par l'épreuve... Mme Roquigny, notre vieille voisine de Canouville malheureusement disparue pendant notre voyage, nous avait prévenus qu'elle pensait que nous n'arriverions pas à boucler notre parcours; elle estimait que le tour du monde était impossible à réaliser parce que trop long, trop dangereux, trop difficile: qu'aurait-elle songé si elle avait appris qu'au final, nous triplerions la mise?

Ce qui définit classiquement un tour du monde, chez un voyagiste, c'est le fait de traverser l'ensemble des méridiens avant de revenir à son point de départ. La possibilité extrême consistant à se rendre directement au pôle Nord par l'orthodromie, faire le tour du poteau virtuel marquant le pôle, et revenir par le même chemin pourrait dès lors être considéré comme la solution minimale. Symétriquement, le parcours du Vendée Globe Challenge, qui consiste en gros à aller faire le tour du continent Antarctique et à revenir, répond aux mêmes critères, passage aller-retour de l'équateur en sus.

Si l'on veut être plus exigeant, et qu'on néglige les questions d'axe et de plan de rotation de la planète sur elle-même pour ne considérer que sa forme sphérique, on définira plutôt un tour du monde comme un parcours passant par le point antipode du point de départ et revenant par un trajet opposé à celui de l'aller. Notre parcours particulier manque en apparence cet objectif pour environ 550 kilomètres (le point antipode de Nantes se situant au large de la péninsule d'Otago en Nouvelle-Zélande, où nous nous sommes rendus, et c'était d'ailleurs le mieux que nous puissions faire par voie de terre). Pourtant, si l'on y regarde de plus près, il est certain que nous sommes passés à plusieurs reprises en des couples de points antipodes, ne serait-ce qu'à cause du croisement de certaines de nos trajectoires d'avion avec leurs doubles en miroir (ça devient un peu technique, je sais, mais je ne vois pas comment simplifier). Par exemple, l'un des points de notre vol Lima-Madrid (probablement à 100 ou 200 km au large de Lisbonne) a nécessairement croisé l'un des points antipodes de notre vol Manille-Christchurch (200 à 300 km au large d'Auckland). Nos vols Delhi-Kuala Lumpur et l'aller-retour Katmandou-Kuala Lumpur ont croisé le trajet antipode du vol Ile de Pâques-Santiago; les vols Kuala Lumpur-Denpasar et Kuala Lumpur-Manille ont croisé le symétrique du vol Lima-Madrid. Et il y a peut-être d'autres exemples, pas toujours très faciles à détecter. Par exemple, le point antipode de Hanga Roa, sur l'île de Pâques, se trouve presque exactement sur le trajet Doha-Delhi, mais il n'est pas certain que notre vol ait effectivement franchi la ligne de croisement possible, ça s'est sans doute joué à quelques kilomètres près. Si l'on veut donner des exemples plus concrets ne ressortissant pas simplement aux trajectoires aériennes, mais mettant en scène des lieux de séjours bien précis, nous pouvons citer, parmi les couples de points quasi-antipodes où nous avons passé au moins une nuit (à moins de 1000 kilomètres près), les dipôles Lima-Phuket, Rurrenabaque-Banaue, et Île de Pâques-Srinagar.

Voici maintenant une liste de chiffres relatifs à la géographie de notre voyage: donc, non, à sa lecture, vous n'apprendrez rien sur le nombre de bières consommées, la quantité de sourires échangés ou d'adresses mail récupérées, mais en revanche vous n'ignorerez plus rien des longueur, largeur, hauteur, profondeur de notre parcours...

  • 123361 km: Distance totale parcourue (erreur estimée inférieure à 5%), pour ceux qui en douteraient le détail est donné ici. Isabelle a parcouru environ 0,01% de moins car elle n'a pas couru sur la plage de Phuket ni marché du dépôt de vans Apollo à l'aéroport de Perth comme moi (elle a aussi renoncé à deux extensions de randonnée à Gokyo et Ala Archa).
  • 29 jours et 29 nuits (1426 heures): Temps passé à nous déplacer, hors attente dans les gares routières, les aéroports, les halls d'hôtel et les bords de route (erreur estimée inférieure à 25%)
  • 87 km/h: Vitesse moyenne pondérée de nos déplacements, calcul un peu extrême et sans grande signification mélangeant l'avion, le cheval et le kayak (erreur estimée inférieure à 25%, cependant). Le détail est donné ici.
  • 71%: Proportion du moyen de transport principal (l'avion) dans l'ensemble, en distance parcourue (erreur estimée inférieure à 5%). Le détail est donné ici
  • 16%: Proportion du moyen de transport principal (le camper van de location) dans l'ensemble, en temps passé dans les transports (erreur estimée inférieure à 25%). Le détail est donné ici
  • 4756 litres: Quantité de carburant fossile (essence, gazole, kérosène) consommé par chacun d'entre nous (erreur estimée inférieure à 25%). C'est nul, il y a de quoi avoir honte, mais on peut tout de même relativiser un peu en songeant que cela correspond à moins de 3 ans de consommation d'un commercial faisant beaucoup de route, un seul hiver de fuel pour un chalet au Canada pas trop bien isolé, ou... moins d'une heure de vol de l'Airbus présidentiel français!
  • 47 kilomètres: Notre plus court trajet en avion, entre Raiatea et Bora Bora
  • 9520 kilomètres: Notre plus long trajet en avion, la veille de notre retour à Nantes, entre Lima et Madrid
  • 6275 kilomètres: Notre second plus long trajet en avion, entre Manille et Sydney: jamais nous ne l'aurions réalisé si nous n'avions pas constitué la liste exhaustive de tous nos vols à tête reposée
  • 24: le nombre de méridiens différents traversés, tous ceux qui existent en fait
  • 50 (+37-13): le nombre de fuseaux horaires traversés (24 correspondant au tour du monde, plus des allers-retours de 3 fuseaux entre le Kirghizistan et la Turquie, 4 entre la Papouasie et le Népal, 4 entre la Nouvelle-Zélande et l'Ouest australien, et 2 entre le Brésil et le Pérou)
  • 1: le nombre de crépuscules et d'aubes supplémentaires que nous avons vécus, par rapport à tous ceux qui sont restés sur place! Si nous mourrons à 30000 jours, nous aurons en fait vécu 30001 couchers de soleil, sauf si nous faisons... au moins un autre tour du monde, éventuellement dans l'autre sens pour défaire cette aberration!
  • 8: le nombre de fois où nous avons passé l'équateur (dont 6 fois en Indonésie, et jamais autrement qu'en avion)
  • 4: le nombre de fois où nous avons passé le tropique du cancer (trois fois sur un trajet Delhi ou Katmandou-Kuala Lumpur et une fois au-dessus de l'Atlantique lors de notre retour; nous avons également frôlé ce tropique à notre escale à Doha, mais il est presque certain que nous ne l'avons pas franchi alors)
  • 6: le nombre de fois où nous avons passé le tropique du capricorne, dont trois fois par voie de terre, à la différence de l'équateur et du tropique du cancer (deux fois pour aller et revenir en Nouvelle-Zélande, deux fois en Australie respectivement près d'Alice Springs et Exmouth, une fois pendant le vol Papeete-Île de Pâques, une fois un peu au nord de Salta)
  • 27 kilomètres, soit 0,244 degré d'arc: la plus petite distance de l'équateur où nous avons séjourné, au nord de l'île de Malenge dans l'archipel des Togian; nous n'étions guère plus loin (0,528 degré d'arc soit 58 kilomètres) lors de notre séjour sur l'île de Gam, aux Raja Ampat
  • 53° de latitude sud, soit Punta Arenas, à environ 400 kilomètres du Cap Horn: le point le plus méridional de notre parcours
  • 51° de latitude nord, soit notre escale à Londres: le point le plus septentrional de notre parcours
  • 58% environ: la proportion du temps de voyage passé dans l'hémisphère sud
  • 5380 mètres: le point culminant de notre parcours, après une grimpette d'une vingtaine de mètres de denivellé au-dessus de notre passage en voiture du col du Khardung La, au Ladakh
  • -24 mètres: le point le plus bas de notre parcours, en plongée dans la passe sud de Fakarava
  • 6: le nombre d'occasions différentes où nous avons dépassé les 5000 mètres (ce qui ne nous était jamais arrivé auparavant), dans 4 pays différents (Renjo La au Népal, 5360m, Khardung La en Inde, 5359m/5380m, Gokyo Ri au Népal, 5357m, Pico Austria en Bolivie, 5320m, Vinicunca au Pérou, 5040m et Sengge La en Inde, environ 5000 mètres -altitude exacte inconnue), dont une fois sans aucun mérite en... voiture, mais tout de même cinq fois à la force du jarret et en Crocs, quoique une seule fois en portant tout notre équipement, à l'exception de quelques objets restés à Katmandou
  • 4: le nombre de passages par l'aéroport de Kuala Lumpur, celui que nous avons le plus fréquenté lors de notre grande boucle
  • 8890 km: la distance la plus importante séparant deux points où nous avons rencontré les mêmes voyageurs avec qui nous étions restés en contact (Flo et Jenny, entre Bora Bora et Salta, merci au site Sunearthtools pour l'aide au calcul)
  • 4178 km: la distance la plus importante séparant deux points où nous avons rencontré le même voyageur sans l'avoir prévu (Rudy, entre Puerto Natales et Rurrenabaque)
  • Environ 60°C (estimation): l'amplitude thermique entre le point le plus froid de notre voyage (probablement la nuit au refuge suivant le passage du Sengge La, vers -20°C) et son point le plus chaud (probablement dans le Red Center australien, vers 40°C)
  • Ah, allez, et pour ne pas finir sur une litanie exclusivement géographique tout de même:

  • 0: le nombre de fois où nous nous sommes servis de notre moustiquaire de voyage
  • 0: le nombre de fois où nous avons vomi à cause du mal des transports
  • 0: le nombre d'agressions subies, ne serait-ce que verbales (eh oui, le monde que nous avons parcouru est moins violent que beaucoup ne le pensent)
  • 0,8: le nombre de paires de Crocs consommées par personne, sachant que la paire de secours n'a été utilisée que de manière négligeable, et qu'au moins celle d'Isabelle pourrait encore largement servir
  • 2: le nombre de kangourous percutés sur les routes d'Australie (sans trop de mal apparent pour eux, heureusement)
  • 16: scooters différents loués, de 1 à 4 jours, sans aucune chute
  • 50: décollages (et aucun avion raté)
  • Au moins 150 bus, taxis, jeeps, motos, tuk-tuks de toute sorte arrêtés, négociés, réservés, pris sur toutes sortes de pistes, routes et chemins