Carnet du Népal

Pour consulter les albums photos complets avec une meilleure définition, les adresses sont les suivantes:

  • Album de Katmandou
  • Album du trek au Gokyo Ri



  • Carnet d'Isabelle

    Lundi 1er novembre

    A Sorong, même si l’hôtel est juste à côté de l’aéroport, un service de transfert nous est proposé. Cela nous évitera quand même de porter nos bagages pendant un kilomètre. Nous montons dans le taxi à 6h30, juste après un petit déjeuner. Le taxi nous laisse à l’entrée, nous terminons à pied pour éviter de payer l’entrée du parking de l’aéroport.

    Nous faisons emballer le sac de plongée dans de la cellophane pour plus de sécurité. Je peux télécharger des vidéos à inclure dans notre carnet grâce à la très bonne connexion wifi de l’aéroport mais j’ai beau passer le contrôle de police et la douane avec le capot de mon ordinateur ouvert, je sens bien qu’il va me manquer un peu de temps : 3 minutes exactement, que je négocie auprès d’un employé de l’aéroport alors que nous sommes les derniers à monter dans l’avion en direction de Kuala Lumpur.

    Pour la première fois, nous avons réservé un hôtel dans l’aéroport même. L’hôtel Tune est nettement plus cher que ce que nous prenons d’habitude (50€). L’aéroport de Kuala Lumpur est à 40 kilomètres du centre-ville ce qui occasionne des frais de transport importants, et nous aurions dû nous loger de toute manière. Les frais sont donc quasiment équivalents. C’est bien évidemment loin d’être charmant mais c’est très pratique. Nous accédons directement à l’aéroport en suivant une succession de couloirs et nous avons ensuite l’embarras du choix pour dîner. Nous trouvons un vendeur très compétent dans un magasin d’électronique à qui nous achetons un lecteur multicarte et un power bank (une batterie externe) car la nôtre nous a lâchés aux Raja Ampat. Nous terminons notre journée devant une grande pizza au fromage pour moi, une moyenne pour Manu car il complète par une à la banane en dessert.

    Mardi 2 novembre

    Notre avion pour Katmandou étant à 11h50, nous quittons notre hôtel à 9h00. Nous nous sommes réveillés très tôt alors Manu a traité un peu de photos. N’ayant toujours pas de connexion internet, je vais demander à l’accueil qui m’attribue un nouveau mot de passe.

    Une fois nos bagages enregistrés, nous cherchons un endroit pour prendre un petit déjeuner dans l’aéroport. En passant, nous achetons une nouvelle clé USB dans le même magasin que la veille. Nous avons beaucoup de mal à trouver un endroit qui offre du sucré et quand nous en avons trouvé un, une fois la commande passée et les pâtisseries réchauffées, nous sommes obligés de partir car la boutique n’accepte pas la carte bancaire. On termine donc au Starbucks café et nous nous régalons. Le problème, c’est qu’on manque maintenant de temps et que nous avons pris des grands cafés. Manu doit racheter une bouteille d’eau que nous rajoutons dans nos gobelets et, cafés en main, nous nous dépêchons d’aller passer le contrôle de police. Nous arrivons à l’embarquement avec un quart d’heure de retard mais la file d’attente n’est toujours pas résorbée.

    Nous travaillons beaucoup pendant le vol de 4 heures. Manu se charge comme toujours des photos et moi je prépare plusieurs articles pour Facebook que j’aurai juste à poster dès que nous aurons de la connexion.

    L'avion se pose sur la piste. Ici, pas de corridors qui n'en finissent plus. Nous marchons sur le bitume en direction de l'aérogare sous l'œil scrutateur de soldats délimitant autour des voyageurs un périmètre de sécurité. Mesure de précaution face aux extrémistes maoïstes ou reliquat d'une époque, pas si lointaine, où le Népal était fermé à tout étranger. Nous remplissons les formulaires et nous nous mettons dans la file pour payer les frais d’entrée dans le pays. Des fonctionnaires, au rythme lent, scrutent les passeports et les visas. Visages fermés, estampilles et initiales griffonnées avec soin sur les pages de nos passeports… À nous le Népal!

    Dès notre arrivée, nous retirons des devises népalaises qui nous permettent de pré-payer un taxi qui nous conduit directement à Chhetrapati où nous espérons trouver un hôtel. Chhetrapati est limitrophe avec Thamel, le quartier touristique de Katmandou, lieu de rendez-vous des adeptes de la montagne. Ici, on roule à gauche, à la manière britannique. C’est le choc : des rues cahoteuses et poussiéreuses, de vieilles maisons délabrées avec terrasses sur les toits, des petites échoppes ouvertes sur la rue où l'on entasse, vend, répare toutes sortes de choses. On croise des hommes chargés comme des mulets déambulant à petits pas, des femmes en sari aux couleurs chaudes tâchant de se frayer un chemin sur la chaussée à travers vaches sacrées et tas de détritus. La plupart sont munis de masques pour lutter contre la poussière.

    Les rues sont encombrées de motocyclettes, de scooters, de rickshaws et de vieilles automobiles qui soulèvent sur leur passage des nuages de poussière qui vont mourir au-dessus des étals de fruits et légumes. Une fresque absolument incroyable saturée de sons, de couleurs et de mouvement. Je n’arrive pas à tout voir. Nous roulons trop vite malgré la cohue.

    Katmandou me fait l'effet d'une ville sale et délabrée. Les détritus sont mis en tas au bord des rues. Pas de poubelles, pas de sacs à ordures. À ciel ouvert tout simplement. Les vaches, les chiens et les volatiles (poules et corbeaux) s'en donnent à cœur joie pour y dénicher leur pitance. Plus nous nous enfonçons dans la ville, plus je m'étonne. Cette ville pauvre démunie de tout superflu grouille de vie.

    En approchant de Thamel, les rues deviennent plus étroites. J'ai l'impression que nous circulons en voiture au milieu de rues piétonnières bondées de passants. Notre taxi se faufile à travers cette masse grouillante en klaxonnant et nous arrête au bout d’une toute petite rue qu’il ne peut pas emprunter. Nous terminons à pied, nous passons un portail et débouchons dans une cour. Notre hôtel, le Kathmandu Boutique Hôtel, se trouve là, entouré d'un jardin. Je jette un regard autour de moi. Je ne rêve plus, je suis bien au Népal.

    On nous attribue une chambre dans un bâtiment annexe de construction récente. La connexion wifi est excellente ce qui me permet d’envoyer les articles et d’avoir Charlotte qui, me voyant connectée, m’appelle sur Face Time. Manu termine le traitement des photos d’une des îles des Raja Ampat ce qui lui permet de lancer un téléchargement de ces photos vers Google photos pendant que nous partons à la découverte de la ville. Pas facile de se repérer ici d’autant plus que les deux plans que nous avons (Lonely Planet et un autre remis par un agent à l’aéroport) divergent à plusieurs égards : le nom des rues n’est absolument pas le même ni la représentation graphique. Un népalais fortement alcoolisé nous indique le chemin de l’endroit qui délivre les permis nécessaires pour les treks au Népal que nous cherchons à atteindre. Nous traversons d’importants axes routiers grâce à des ponts.

    Aux intersections, les véhicules se fraient « à petits pas » un chemin à travers la cohue en s'aidant toujours du klaxon ou de la clochette. À un croisement plus important, un policier surveille. Il vient défaire le bouchon en train de se former, puis retourne lentement à son poste d'observation.

    Nous marchons beaucoup, sans pouvoir nous repérer, ce qui nous oblige finalement à remettre au lendemain notre recherche car nous avons déjà largement dépassé l’heure de fermeture de l’office.

    Nous nous engageons dans une petite ruelle, puis une autre et une autre encore. Nous voici au cœur d’un pâté de maisons, véritable labyrinthe aux couloirs étroits, sombres et humides courant le long des habitations et ouvrant sur des cours. Dans l’une d’entre elles, nous découvrons un groupe en train de danser en cercle, en buvant de l’alcool pour certains, les hommes comme les femmes. Nous restons un peu sans réussir à comprendre de quoi il s’agit exactement.

    Nous sommes perdus. Le même homme que tout à l’heure nous observe et vient à notre rencontre. Avec les mains et un anglais approximatif, il nous indique le chemin.

    Nous empruntons des rues décorées de nombreuses guirlandes où luisent beaucoup de bougies jusqu’à arriver à une place sur laquelle une grande fresque au sol a été réalisée avec une inscription « Happy new year » qui nous pose question.

    Les étals craquent sous les marchandises de toutes sortes : bijoux, vases en poterie, marionnettes en bois, objets décoratifs et vêtements. À la recherche d’un souvenir, les touristes ont ici l’embarras du choix. Pas de doute, nous sommes bien dans le quartier touristique et pourtant nous trouvons qu’il n’est pas tellement aisé de trouver un endroit pour dîner. Manu est très perturbé de ne pas se situer dans la ville. Pendant le repas, il va se lever plusieurs fois pour essayer de trouver des points de repère dans la rue, il se connecte sur sa tablette et compare les deux plans jusqu’à finalement comprendre où nous nous trouvons.

    De retour à l’hôtel, je cherche sur Internet et je lis que c’est actuellement Tihar, la fête des lumières. C’est l’une des plus éblouissantes de toutes les fêtes religieuses hindoues. On y célèbre Laxmi, la déesse de la richesse et l’épouse du formidable Seigneur Vishnu. En d’autres termes Tihar est la fête de la vie et de la prospérité. Toutes les maisons des villes et villages sont décorées de lampes à huile allumées. Cette fête est célébrée en cinq jours à compter du treizième jour de la lune décroissante en octobre.

    Le premier jour de Tihar est appelé « Kag Tihar », on honore les corbeaux, messagers de la mort et gardiens des enfers. Au Népal les corbeaux ne sont pas tués parce qu’une légende rapporte qu’une fois un corbeau avait bu l’eau de la vie.

    Le deuxième jour est appelé « Kukur Tihar », le jour des chiens. Un chien joue plusieurs rôles dans la société. Les chiens servent de gardiens de la maison. Une légende dit qu’il y a un chien à la porte de Yama, gardant la porte des enfers. Le chien est aussi le véhicule du terrible Bhairav, le dieu de la destruction. Ainsi, ce jour-là un gros tika rouge est apposé sur le front d’un chien avec une belle guirlande autour du cou.

    Le troisième jour est le plus important de la fête. On l’appelle « Laxmi Puja », le jour où l’on célèbre la Déesse de la richesse. Ce jour, tôt le matin, la vache est célébrée. Un tika est mis sur son front et une guirlande autour du cou, puis elle se régale d’un délicieux repas. La vache symbolise la richesse, elle est l’animal le plus sacré des hindous. La vache est aussi l’animal national du Népal.

    Le matin, on prie et célèbre la Déesse Laxmi en exécutant un rituel traditionnel. Une fois ce rituel exécuté les jeux commencent dans la maison. Partout des groupes de jeunes filles viennent le soir dans les maisons pour chanter des louanges à la Déesse, elles sont alors invitées et des cadeaux leur sont donnés. Tous les endroits sont très animés durant toute la nuit.

    Le quatrième jour est un peu différent : Ce jour commence la nouvelle année Néwar. Nous y voilà, on a la réponse à l’inscription au-dessus de la fresque ! Le Népal a de nombreux calendriers mineurs utilisés par différentes ethnies, le calendrier Néwar est l’un de ceux-là. Cependant la nation utilise habituellement le calendrier « Bikram Shambat ».

    Le dernier jour de Tihar est appelé "Bhai Tika ", correspondant à la remise du Tika aux frères par les sœurs. L’astrologue royal indique un jour avant le moment approprié à la radio pour la remise du tika et la nation entière respecte ses indications. Même Sa Majesté le Roi reçoit le tika de ses sœurs. Quand le Roi reçoit le Tika, trente et un coups de fusil (dont nous pensons avoir entendu certains au début de la nuit) sont tirés en l’honneur de cet évènement. A ce moment la Nation entière observera « Bhai Tika ». Le thème principal des pratiques de Bhai Tika, c’est la prière des sœurs envers Yama Raj, Dieu de l’enfer, dans l’espoir qu’il procure une longue vie à leurs frères.

    Mercredi 2 novembre

    Nous commençons la journée par acheter une carte de téléphone. Manu pourra au moins se connecter sur Google Maps, ce qui le rassure énormément. Quelques mètres plus loin, je rentre dans une toute petite boutique tenue par une jeune népalaise adorable à qui j'achète un saroual.

    Les vendeurs ambulants, qui pullulent dans les rues, repèrent vite les touristes fraîchement débarqués. Dès que les regards se croisent, c’est l’assaut. L'un d'eux nous barre littéralement le chemin et nous met un peu d'autorité un Tika sur le front et des fleurs dans les cheveux (ah, ah, sur l’oreille pour Manu). Evidemment, il faut ensuite donner un petit billet...

    Nous cherchons l’office du tourisme susceptible de nous fournir les permis de trek (TIMS) mais on nous oriente vers celui qui ne gère que les groupes. L’office pour les particuliers est beaucoup plus loin (encore plus loin que notre virée de la veille) alors nous prenons un taxi pour nous y conduire. Il y a une longue file d’attente mais nous arrivons à nos fins avant midi. Permis en mains, on nous dit que nous pourrons acheter les billets d’entrée dans le parc national sur place.

    Nous effectuons le chemin du retour à pied, ce qui nous permet dans un premier temps d’emprunter des quartiers uniquement népalais avant de nous rendre dans le coin plus touristique puisque nous visitons Durbar Square. Durbar Square rassemble de nombreux temples dédiés aux dieux Shiva, Vishnu, Ganesh, Bhairab, aux déesses Taleju et Parvati et aux innombrables autres divinités composant le panthéon hindouiste; des temples petits et grands, en briques ou en pierres, carrés ou rectangulaires, à deux, trois ou quatre toits superposés, dont la plupart sont manifestement mal entretenus ou en reconstruction depuis le tremblement de terre.

    On peut observer le fourmillement des gens sur la place : vendeurs de rue harcelant les clients, conducteurs de rickshaws et de taxis hélant les touristes, porteurs de marchandises de toutes sortes ployant sous leur charge, enfants jouant au ballon, touristes photographiant, pour quelques roupies, des moines pomponnés pour l’occasion.

    Cette promenade nous aura appris que les restaurants se trouvent souvent en hauteur, qu’il suffit de lever les yeux pour en voir des dizaines et surtout qu’ils sont tous concentrés dans une ou deux rues touristiques. Là, on en trouve pour tous les goûts ! Pour ce midi, nous achetons à des vendeurs ambulants bananes, pommes et oranges que nous allons manger à l’hôtel. Nous avançons sur nos photos et travaillons sur un logo après avoir changé de chambre car nous avions émis le souhait de rejoindre le bâtiment principal, bien plus charmant.

    En fin d’après-midi, nous commandons nos billets d’avion par l’intermédiaire de l’hôtel qui a et appelé un agent qui travaille pour eux, que nous attendons près de deux heures. Le départ pour les montagnes est fixé à après-demain matin.

    Manu tente de retirer de l’argent pour éviter de payer les frais demandés si nous payons les billets par carte bancaire, en vain. Nous ne prenons que l’aller, nous réessaierons ce soir mais nous nous cassons le nez auprès de multiples distributeurs. Il est tard quand nous sortons dîner alors nous allons dans la rue juste à côté, dans un restaurant moins central et par conséquent moins cher, mais très bon. Nous nous couchons assez tard. Manu sur les photos, moi au téléchargement de livres gratuits pour mon Kindle.

    Jeudi 3 novembre

    Je suis tout de même réveillée à 5h45…donc petite nuit pour moi. Nous restons toute la matinée dans le jardin de l’hôtel à travailler (le traitement des photos, le téléchargement, l’écriture du carnet, tout cela prend vraiment beaucoup de temps et nous avions énormément de retard).

    Comme convenu, nous réservons notre billet d’avion de retour auprès de l’agent, un billet qui ne porte qu’une date indicative car il est difficile d’évaluer exactement le temps que nous allons mettre à faire la boucle que nous avons prévu de faire dans la vallée du Gokyo. Nous estimons être de retour dans entre douze et quatorze jours.

    Nous finissons nos fruits avant de retourner flâner un peu dans les rues de Katmandou. Nous commençons par trouver une boutique qui fait de la broderie sur des tee-shirts ou des écussons. Nous faisons le choix de commander deux écussons avec notre logo que nous mettrons sur nos sacs à dos. En revanche, impossible de les avoir ce soir, il faudra attendre notre retour. Fatigués de discuter, nous ne négocions pas, cette fois, et prenons même le risque de tout payer. Nous achetons ensuite des barres de céréales et des fruits secs pour le trek.

    De retour à l’hôtel, nous préparons nos sacs pour demain. Manu répare le sac de plongée avec sa chemise indienne bleue. A la fin de l’Inde, elle était trouée en bas d’une manche. Le petit trou est devenu tellement grand qu’il en devenait gênant alors à Tentena, la petite dame de l’hôtel Victory nous avait prêté une paire de ciseaux et nous avions raccourci la manche qui depuis, s’effiloche. Puis c’est un trou dans le dos qui est apparu. Bref, elle commençait à être très usée. On en rachètera une à notre retour de trek. Tout à l’heure, nous avons acheté une paire de ciseaux pour découper (snif) un petit morceau de cette chemise "historique" pour réparer le sac… Espérons maintenant que cette réparation tienne un peu mieux que la précédente, et que le sacrifice n'aura pas été vain.

    Il est moins tard qu’hier quand nous sortons pour dîner, ce qui nous laisse le temps de faire quelques emplettes. Nous nous achetons chacun un pull en Cashmire car nous craignons d’avoir un peu froid pendant le trek, des bonnets, des fruits secs supplémentaires (Manu a toujours peur de manquer) avant de nous diriger vers un restaurant recommandé par le Lonely Planet (le Gaïa) et qui s’est avéré un bon choix. Nous donnons quelques roupies à un couple de jeunes allemands dont le garçon chante à la guitare pour contribuer au financement de leur tour du monde.

    Vendredi 4 novembre

    Le taxi nous attend à 6h00. Quelques minutes après, Manu a une crise d’angoisse car il ne sait plus du tout où il a mis les billets d’avion de retour. Le taxi se gare, Manu fouille ses poches, sa banane et nous les trouvons dans mon porte-documents de voyage. Il a dû les ranger machinalement. Ce petit moment de panique passé, nous reprenons la direction de l’aéroport. Ici, les contrôles de police sont beaucoup plus simples que d’habitude. Tandis que nous tuons le temps en prenant un café et en grignotant une barre de céréales, nous entendons enfin l’appel de notre vol dans le haut-parleur.

    Roulant sur le tarmac, un minibus nous conduit au petit avion qui nous déposera au creux du Grand Himalaya. Nous nous amusons de notre différence d’équipement par rapport aux autres randonneurs. 

    Le vol Katmandou - Lukla est assez particulier. J’ai lu quelque part que la piste de Lukla est aménagée au creux des montagnes, sur un petit plateau en pente ayant pour but de ralentir l’avion lorsqu’il touche terre. À une extrémité de la piste, un ravin de 1 000 mètres ; à l’autre, le flanc d’une montagne. Ça promet ! Ici, les pilotes n’ont pas d’autre choix que de piloter à vue à cause des montagnes partout. Les vols sont effectués par des petits avions d’une capacité d'une quinzaine de passagers. Comme ces appareils survolent une zone montagneuse où les conditions de vol sont difficiles et peuvent changer rapidement, la météo doit être optimale pour que les départs soient autorisés.

    Une fois installés, l’hôtesse nous distribue un bonbon chacun et du coton pour nous mettre dans les oreilles pour nous protéger du bruit. Moteurs, petit tour de piste, hélices vrombissantes. Nous survolons des montagnes découpées en terrasses, des rivières, des forêts, des petits villages reliés les uns aux autres par des sentiers qui tiennent ici lieu de routes. Magnifique. Au bout d’une trentaine de minutes, nous nous engouffrons au creux d'une étroite vallée. De chaque côté, des parois vertigineuses semblent monter à l'assaut des nuages. Elles se rapprochent. Là, devant, la piste de Lukla… minuscule. C’en est effrayant ! Nous n’arriverons jamais à atterrir sur ce mouchoir de poche. La piste se rapproche dangereusement. Nous y sommes presque ! L’avion touche le sol, cahote, rebondit. Faisant ma part, je freine… avec les deux pieds.

    Pas de tapis roulant pour récupérer les sacs : ils arrivent dans un charriot et on nous les remet après vérification des étiquettes d’enregistrement. L’air sent bon et frais. Tout autour, des sommets enneigés bouchent l’horizon. En bordure de la piste d'atterrissage, de nombreux porteurs au teint foncé et vêtements dépareillés, sont venus chercher leur chargement.

    Quelques lodges (gîtes rustiques) et bhattis (maisons de thé) flanquent un petit sentier en terre battue qui contourne la piste. Battant au vent, une longue pièce d'étoffe attachée à un mât à prières laisse s'échapper vers les dieux les prières bouddhistes qui y sont inscrites. Nous avons changé d'univers.

    Il nous a suffi de ce vol pour quitter la culture hindouiste et plonger au cœur de la culture bouddhiste typique du haut Himalaya. En 1953, John Hunt, responsable de l'expédition britannique, dont deux des membres allaient atteindre pour la première fois le sommet de l'Everest, résuma ainsi son arrivée dans le Khumbu:

    « Les versants des montagnes se firent plus âpres et plus raides, les cultures plus espacées, les habitations plus éparses. Le paysage, d’abord alpin, devint de plus en plus himalayen. L’aspect des gens changea nettement : nous reconnûmes les traits larges et doux des mongols, leurs vêtements plus lourds et plus décorés. Nous étions dans le pays des Sherpas. »

    Nous traversons le village de Lukla : vieilles habitations en pierres, lodges et bhattis, petites boutiques où l'on peut se procurer équipement de montagne et souvenirs divers, enfants courant sur le sol poussiéreux et poules picorant dans les détritus jonchant le sentier.

    Une caravane de dzos (croisement entre un yack et une vache) s’étire le long des bâtisses en faisant tinter les cloches suspendues à leur cou. L'un d'eux vient de laisser à quelques pas de là, une bouse toute fraîche, qui sera récupérée et mise à sécher sur le tas attenant à la maison. La bouse séchée sert ici de combustible.

    Nous nous arrêtons prendre un petit déjeuner à la sortie du village avant d’entamer notre première marche. À la sortie du village, nous contournons par la gauche un mur de pierres mani. Au Népal, la main gauche étant considérée impure, il est impératif de contourner par ce côté, tous les bâtiments et monuments sacrés, afin qu’ils soient situés à main droite.

    Très rapidement, il y a un premier contrôle de police qui nous retarde d’une heure. Nous rencontrons un gros groupe de français qui finissent leur trek, en toussant. Me voyant en train d’enlever des couches de vêtements, l’un d’entre eux me met en garde et me dit de toujours bien me couvrir pour éviter de prendre froid là-haut. Obéissante, je mets mon chèche de façon à me couvrir la gorge et les oreilles.

    Nous nous arrêtons déjeuner dans un petit restaurant à Phalding (3340 mètres d’altitude). Nous avons perdu quelques 200 mètres d’altitude depuis notre départ ! Dire que c’est la première étape d’un long parcours devant nous conduire au-delà de 5 000 mètres !

    Ce qui m’impressionne le plus, ce sont les porteurs. Le langage populaire a consacré l'usage du mot « sherpa » pour désigner ceux qui accompagnent les expéditions himalayennes, notamment les porteurs. C'est en portant effectivement que le peuple Sherpa s'est fait connaître. Mais le terme Sherpa désigne plus justement une ethnie népalaise d'origine tibétaine , un peuple venu de l'est... shar (est) et pa (peuple). On en croise des dizaines, très lourdement chargés de sacs de touristes, de vivres pour les hôtels ou les boutiques, de bouteilles de gaz, de plaques de contreplaqué …Les porteurs, en fait pour la plupart des Rai et des Tamangs, se situent au bas de la hiérarchie, sous les guides, les cuisiniers et les aide-cuisiniers Sherpas. Ils empilent les bagages sur un doko, une sorte de hotte en vannerie déjà remplie à ras bord. Une fois les bagages fixés avec des bouts de cordes usées et pleines de nœuds, ils s’accroupissent et, s’aidant du namlo, un bandeau frontal fait de cuir, de corde tressée ou de tissu passé sur leur front, ils soulèvent leur charge en titubant, puis partent à petits pas. Il est difficile d'évaluer le poids des charges. La norme serait d'une trentaine de kilos. Pour un petit supplément à leur tarif horaire, je crois que plusieurs porteurs portent bien davantage. Le transport à dos d’hommes, malgré son apparente simplicité, requiert d’importants aménagements : grands chemins biens marqués (ce qui rend la marche bien plus facile pour nous par comparaison aux pistes empruntées en Inde), murets de pierres fréquents permettant de soulager les porteurs qui y déposent, de temps à autre, leurs lourdes hottes sans avoir à se baisser jusqu’au sol. Ils soulagent aussi leur dos en appuyant la base de leur hotte sur leur long bâton en forme de T, le tockma, qu’ils utilisent par ailleurs pendant la marche comme canne de soutien dans les passages difficiles. Nous observons que la plupart des porteurs optent pour une stratégie de marche particulière: ils progressent rapidement, même en montée où ils préfèrent les ascensions courtes mais raides; et en contrepartie ils font des pauses longues et fréquentes. Lorsqu'ils se déplacent, ils foncent le plus souvent droit devant eux, pouvant de toute manière à peine lever les yeux de la piste pour anticiper le croisement des autres marcheurs.

    La première étape de Lukla à Phalding était donnée pour 3 ou 4 heures mais nous n'avons mis que 2 heures 1/2. Encouragés par ce premier succès, nous décidons par conséquent de continuer jusqu’à Benkar. Nous marchons sur un sentier en balcon longeant la rive ouest de la rivière Dudh Kosi, qui sinue bruyamment 100 mètres plus bas en une suite ininterrompue de torrents d’un bleu laiteux. Le flanc de la montagne est tapissé de pins et de rhododendrons. Nous nous arrêtons dans un lodge, au hasard, le Himalayan Guesthouse. Tous les établissements se valent plus ou moins. En tout cas, ils pratiquent le même système de tarification : la chambre est quasiment gratuite (2€ ici) mais tous les services annexes payants (la charge électrique, la douche, internet et les repas). La salle à manger est chauffée avec un petit poêle installé au centre de la pièce et allumé juste pour le repas. Les chambres ne sont pas chauffées. Il est seulement 15h15 quand nous nous retrouvons dans notre chambre. On commence par faire sécher nos habits mouillés dans le dos et par se doucher (3€ la douche). Puis on se calfeutre sous notre couette pour avoir chaud. Il faut lutter contre l’envie de dormir, surtout vers 17h30, quand le soleil couché, nous nous retrouvons dans le noir. Nous avons la lumière de la tablette et de l’ordinateur mais au bout d’un moment, ça commence quand même à être juste. Manu s’apprête à aller demander à ce que le courant soit mis quand on se rend compte, une fois notre porte ouverte, que c’est l’ampoule de notre chambre qui est grillée. Nous voilà avec de la lumière, il faut désormais attendre que le propriétaire du lodge allume le feu. Nous continuons à travailler dans notre lit (je l’avoue, j’ai quand même piqué du nez à quelques reprises) quand tout à coup, la petite fille de la famille frappe à notre porte, suivie de son père. Nous pouvons descendre, la pièce est chauffée.

    Il se trouve que nous sommes les seuls à nous être arrêtés ici. En attendant notre repas, la petite vient et se met à projeter, d’abord vers nous puis partout dans la pièce, des gâteaux apéritifs. On a beau lui dire non et faire les gros yeux, elle en n’a que faire. Il faut dire que même ici, les enfants sont rois. Après nous être assis et réchauffés près du poêle, nous mangeons côte à côte, tous les deux dans cette grande salle à manger. Ceci-dit, nous n’avons pas froid du tout. Le propriétaire nous explique que demain, comme tous les samedis, sera jour de marché à Namche Bazar, le Haat Bazar, une institution datant de plusieurs dizaines d'années. Les Sherpas habitant les villages du Khumbu viennent s’y approvisionner et y vendre leurs surplus. Bon nombre d'entre eux marchent plusieurs jours pour se rendre au marché. Les Sherpas sont non seulement des pasteurs, mais aussi des commerçants. Après avoir traversé avec leurs yacks le Nangpa La, un col à 5 715 mètres d’altitude, des Tibétains viennent aussi commercer au Haat Bazar.

    Une fois dans le lit, on a intérêt à se coller l'un contre l'autre pour lutter contre le froid. Ce n'est pourtant que le début: une dizaine de nuits plus en altitude devraient suivre...

    Samedi 5 novembre

    Nous descendons prendre notre petit déjeuner à 8h00 et nous partons une heure après. Après le village de Bengkar, nous traversons sur la rive est de la Dudh Kosi en empruntant un pont suspendu et montons sur Chomoa toujours en longeant la rivière. Les ponts de singe, même s’ils sont impressionnants par leur hauteur, ne sont pas effrayants comme au Ladakh car ils sont de très bonne qualité de fabrication.

    C’est le début, tout va bien et je fais la folle, comme souvent.

    Forêts de rhododendrons, de magnolias et de conifères se succèdent. Dépassé le bourg de Monjo, il faut s'arrêter au check point et payer les droits d’entrée à l’accès au Sagarmatha National Park. Sagarmatha est le nom que porte l’Everest au Népal. Une longue descente abrupte et caillouteuse nous conduit au fond de la vallée où coule la Dudh Kosi, que nous traversons à nouveau en empruntant un autre long pont suspendu. Devant nous, une longue passerelle étroite enjambe une gorge faisant plus de 100 mètres de profondeur. De l'autre côté du pont, le sentier semble se perdre dans la forêt.

    La piste traverse Jorsalle (Thumbung), un petit village pittoresque où les lodges semblent particulièrement bien tenus. Jorsalle est le dernier village avant Namche Bazar, notre destination aujourd'hui. Je n'ai pas du tout faim mais m'efforce de manger une barre de céréales et quelques fruits secs avant d’affronter la toute première véritable montée du trek toute proche.

    Nous nous engageons enfin dans la longue montée prévue conduisant à Namche Bazaar. D'abord abrupte, la pente s'adoucit quelque peu à mi-chemin. Nous montons maintenant en lacets à travers une forêt de conifères peu dense, offrant des zones d'ombre que nous apprécions.

    Un soldat, mitraillette en bandoulière, se tient près de la clôture qui barre le sentier. En raison de la guérilla maoïste sévissant au Népal (beaucoup plus présente dans l’ouest du pays), l'entrée du parc est gardée par des soldats bien armés. Pendant qu’un jeune officier fort gentil contrôle nos passeports et permis de trekking, je fais une pause. Nous apercevons enfin, Namche Bazaar. Le souffle court, je regarde le village car je vois que la montée n’est pas terminée.

    Motivée par l’idée d’être presque arrivés, je grimpe quand même avec peine les marches qui conduisent au centre du village. Nous ne voyons pas de trace du marché…

    Nous avons mis trente minutes de plus pour cette étape jusqu’à Namche estimée à 4 heures dans notre guide. Cela qui correspond aux deux arrêts obligatoires des soldats. Les sentiers étroits et caillouteux se transforment en ruelles reliées par des paliers et des escaliers de pierre. De chaque côté, maisons, auberges et boutiques s'entassent les unes sur les autres. Électrifié, le village dispose d'une école primaire, d'un bureau de poste, d'un dispensaire, d'un mini-poste de police, du téléphone et de quelques cafés Internet. On peut y acheter à peu près n'importe quoi : vêtements, bijoux, équipement de haute montagne, cloches à yack, pâtisseries fraîches, pizzas, tarte aux pommes, coca, bières locales et importées... Nous nous engouffrons dans une pizzéria avant même de trouver un hôtel car il nous faut une connexion internet pour faire une comparaison sur Tripadvisor. Après avoir renoncé à monter vers un établissement bien évalué, mais situé sur la crête surplombant le village, nous sélectionnons une pension en plein centre de Namche (simplement nommé Hotel Namche), très bien coté également. Il est un peu cher mais depuis Namche, c’est comme si tous les prix avaient été multipliés par 3. Nous obtenons l'une des dernières chambres disponibles dans la catégorie économique, située à l'étage inférieur en bordure d'une terrasse un peu froide. Nous avons tout de même une salle de douche privée, des matelas acceptables et plusieurs prises électriques alimentées en permanence, ce qui est un luxe plutôt rare sur ce parcours. On nous promet de l’eau chaude solaire mais la réserve doit être vide car une fois sous la douche, l’eau est tout juste tiède.

    L’après-midi s’annonce le même que la veille, sous la couette, chacun dans notre lit cette fois. Manu ressort demander dans une boutique Ncell pourquoi nous n’avons pas Internet via son téléphone (la connexion via l’hôtel est trop chère). On le renvoie de magasin en magasin pour qu’on finisse par lui dire que c’est parce qu’il avait oublié de régler correctement le paramétrage du son partage de données.

    La salle à manger est pleine quand nous montons dîner. On nous installe dans une petite salle annexe où on nous allume un petit radiateur le temps de notre repas. Je prends un premier ½ Diamox pour éviter le mal des montagnes. Le but de cette étape à Namche est, pour tous, de s'acclimater. Demain, il s’agira de faire une montée et de redescendre à la même altitude.

    Dimanche 6 novembre

    Nous prenons notre temps ce matin et la salle à manger est vide lorsque nous arrivons. Il fait grand beau dehors, de quoi nous mettre de bonne humeur ! Un bon petit déjeuner et nous partons pour la journée d’acclimatation autour de Namche. Nous partons à 10H00 et nous serons de retour vers 16h30.

    Nous passons devant une courte piste d’atterrissage en terre, située un peu plus haut. Ce petit aérodrome est essentiellement utilisé par les touristes japonais, qui arrivent directement ici pour rejoindre l’Everest hôtel, situé à quelques minutes d’ici, et d’où l’on peut apercevoir l’Everest. J’ai lu quelque part que les japonais font parfois l’aller-retour sur quelques heures à partir de leur pays (en avion puis hélicoptère), le temps de prendre une photo avant de repartir…

    Quelle joie pour nous de découvrir peu après le Mont Everest qui se découpe sur un ciel bleu très pur.

    L’Ama Dablam (6 856 m) domine tout le paysage pendant une bonne partie de la journée.

    Nous arrivons au point culminant de la journée, l’hôtel Everest view, à l’heure du déjeuner. Nous rentrons dans ce bel hôtel pour voir le panorama de la terrasse car effectivement, ils ont un emplacement exceptionnel. En partant, Manu demande le prix d’une chambre (on ne sait jamais …) : 240€, avec la douche commune. C’est tout vu.

    Nous nous installons sur un petit rocher, pas loin de là, pour manger notre barre de céréales et nos fruits secs. Je m’endors quelques minutes au soleil. Nous redescendons vers Namche sans difficulté en fin d’après-midi et nous sommes contents de trouver de l’eau chaude dans la soirée. Une bonne douche suivie du dîner nous permet de terminer la journée sans trop souffrir du froid.

    Lundi 7 novembre

    Pour ce trek himalayen, nous avons opté pour un circuit empruntant principalement la vallée de Gokyo. Cet itinéraire longe les rives de la rivière Dudh Kosi et conduit à la kharka de Gokyo. Manu craignait que l’autre option menant à la vallée de Lobuche, laquelle conduit au camp de base de l'Everest et au Kala Pattar soit plus longue et surtout plus touristique.

    D’ici nous nous apprêtons donc à prendre le sentier menant à Phortse Thanga, Dole, Machhermo et enfin Gokyo. On profitera de la pause à Gokyo, acclimatation oblige, pour faire l'ascension du Gokyo Ri, un petit pic offrant une vue spectaculaire sur les quatre 8000 mètres du Khumbu.

    Nous trouvons fort confortable, toujours par rapport à notre expérience en Inde, de traverser tous ces petits villages permettant tous de s’arrêter, de déjeuner ou au moins d’acheter à manger et à boire. Nous ne sommes pas pressés ce matin car la marche de la journée devrait durer 5 h. Nous pensons que partir de bonne heure nous ferait arriver trop tôt et que nous aurions froid plus longtemps dans le lodge. Du coup, nous prenons notre temps dans la salle à manger et nous partons à 11 heures, après être passés à la pharmacie acheter de l’Ibuprofène et des pastilles pour la gorge. La sortie de Namche me semble bien plus difficile que la veille, pour la simple et bonne raison qu’aujourd’hui, j’ai un sac de 8 kg sur le dos !

    Sortir de Namche est difficile : il faut monter de nombreuses marches. J’ai le souffle court et je ne parle pas. Je m'arrête de plus en plus souvent pour reprendre mon souffle. La respiration reste néanmoins haletante. À la vitesse de la tortue, je me traîne les pieds dans cette pente qui n’en finit pas. Et pourtant, j’en suis seulement à mon troisième jour de trek, à une altitude ne dépassant 3 500 mètres. Ouach ! Il s’agit aujourd’hui de monter jusqu’à presque 4000m et de redescendre un peu au village de Phortse Thanga pour dormir, toujours dans un souci d’acclimater le corps progressivement.

    Nous nous échappons du village de Namche Bazaar par un sentier étroit tracé à flanc de montagne. On peut lire, dans mon regard, de la joie mais aussi beaucoup d’inquiétude même si je me sens prête à affronter le défi de ce trek.

    Le soleil poursuit sa course bien au-dessus des crêtes. Impossible de lui échapper, le flanc de la montagne est dénudé. En un rien de temps, j’enlève legging et chaussettes et je me retrouve en jupe... pour l'instant ! Je réussis à voir un bouquetin brouter dans les buissons rabougris à flanc de montagne.

    Le sentier s'étire en avant. À gauche, une paroi à pente très accentuée. À droite, un ravin. Le paysage est superbe mais à certains endroits, il vaut mieux regarder où l’on met les pieds.

    Nous croisons plusieurs caravanes de yacks. Lorsque les yacks ralentissent le pas ou s'arrêtent à notre vue sur l'étroit sentier, un cri du yack-pa ou une petite pierre habilement lancée sur le yack de tête suffit pour remettre la caravane en marche. Nous dégageons rapidement le sentier en nous rangeant du mieux que l'on peut le long de la paroi tandis que les yacks reprennent le pas en longeant le bord du précipice.

    Puis nous amorçons une descente et perdons presque tout le gain d’altitude accumulé si chèrement. Consolation toutefois, cette succession de montées et de descentes est excellente pour le corps. En effet, le meilleur moyen de s’acclimater consiste à monter, puis à descendre avant de remonter à une altitude plus élevée encore. C’est pourquoi, on conseille souvent aux trekkeurs de dormir à une altitude plus basse que le plus haut point atteint durant la journée, surtout lorsqu’ils éprouvent des difficultés à s’acclimater. Durant cette descente interminable, les vues sur Phortse, le village sur la rive opposée de la Dudh Kosi, ainsi que sur le lointain monastère de Tengboche, sont saisissantes.

    Sur la dernière descente nous rencontrons un népalais qui habite justement à Phortse Thanga (3680m) et qui nous attend à l’entrée du village pour nous indiquer un lodge. En même temps, il aurait été difficile de passer sans voir ce lodge qui se trouve être le seul du village ! Nous allons tout de suite nous doucher (dehors !) car nous voulons nous assurer d’avoir de l’eau chaude. Nous descendons immédiatement dans la salle à manger car il fait très froid dans la chambre. Le feu est allumé, les chaises qui l’entourent déjà occupées alors nous choisissons de nous installer sur une table bien exposée à la chaleur du poêle. Nous commandons un litre de chocolat chaud que nous avons à peine le temps de terminer car ici, le dîner est servi à 18h30.

    Nous faisons le décompte. Le gain de la journée ? Oublions ça ! En gros, nous avons monté 600 mètres pour en redescendre 200. Il commence à faire froid, même dans le lodge. Quand nous avons un lit double, au moins, on se tient chaud mais ici, nous avons deux petits lits. Je ne bouge pas beaucoup cette nuit, je me recroqueville. J’entends Manu bouger beaucoup : il a fait une insomnie de 2 heures, sans doute liée à l’altitude et à un début de rhume l'obligeant à renifler fréquemment.

    Mardi 8 novembre

    Ce matin, nous sommes réveillés de bonne heure par les crachats du groupe d’indiens… Cela fait partie du rituel de leur toilette mais pour nous, ce n’est pas agréable du tout. Il y a eu beaucoup de remue-ménage dès 6 heures. Les autres touristes (au demeurant pas très causants) avaient tous demandé à avoir leurs petits déjeuners entre 6h30 et 7h00, ce qui fait que quand nous descendons prendre le nôtre à 8h00, ils sont tous partis et nous nous retrouvons seulement tous les deux. Nôtre hôte nous félicite de notre choix car il pense que partir aussi tôt ne rime à rien. L’étape vers Machhermo est donnée pour 6 heures. Partant à 9h15, nous pensons arriver vers 16h.

    Nous montons à travers une forêt de rhododendrons. La montée est abrupte pendant 4 heures. A un moment, nous longeons une cascade de glace.

    Puis le sentier traverse Tenga (Tongba), Dhole, Gyele (Kele). En chemin, les vues sur le Khumbila (5 761 m) et le Taboche sont superbes.

    À la hauteur de Lhabarma, où nous nous arrêtons pour déjeuner, la vue porte loin dans toutes les directions. C’est magnifique. Le soleil donne dans le lodge alors nous nous installons derrière la vitre et je prends une soupe à l’aïl pour me réchauffer (c’est mon menu depuis le début du trek car c’est recommandé pour lutter contre le mal des montagnes) et Manu mange son premier dal bhat (Le un plat traditionnel du Népal, composé de riz blanc et d'un bol de soupe aux lentilles, le tout agrémenté d'un curry de légumes et parfois d'un mélange d'ingrédients épicés. La viande étant peu accessible et non traditionnelle, il est généralement végétarien).

    Prêts à repartir, Manu m’aide à enfiler mon sac à dos. Il faut monter encore un peu pour ensuite suivre une ligne de crête pendant une heure. Avant d’entamer une dernière montée, nous faisons de nouveau une pause « fruits secs » car il y a encore un peu de soleil. Manu s’endort sur l'herbe rase mais il est vite réveillé car une fois le soleil couché, le froid s’impose. Il nous reste une descente avant d’atteindre le village de Machhermo (4410 mètres). Manu insiste pour porter mon sac. À ce jour, à l'exception de quelques côtes un peu plus difficiles, nous sommes d’accord sur le fait que la randonnée n'est pas trop exigeante. Je peine un peu plus que Manu mais ma forme physique y est certainement pour quelque chose. Je n’ai pas pris la peine, comme l’a fait Manu, de m'entrainer sérieusement en prévision de ce trekking.

    Nous traversons ensuite Luza qui compte tout juste quelques habitations à l'aspect précaire. Plus on s'élève en altitude en rejoignant le nord, plus l'habitat devient austère, plus les maisons deviennent rustiques, plus les conditions de vie s'avèrent difficiles. Au-delà de la limite des arbres, il n'y a plus que de maigres pâturages et des cabanes temporaires dans lesquelles s'abritent les bergers durant l'été. Plus haut, on débouche dans un monde essentiellement minéral dominé par la roche, les glaciers et les neiges éternelles.

    Nous avons dépassé la limite supérieure des arbres. Sur le sol, il n’y a plus que buissons rabougris et touffes herbeuses éparses. Dépassé un épaulement rocheux, une large vallée s’offre à la vue. Un jeune chien nous accompagne sur le chemin. Il est 16h15 quand nous choisissons notre lodge en fonction des cheminées qui fument. Au moins, on aura chaud dès notre arrivée dans la salle à manger. Nous avons le choix entre trois. Nous privilégions le premier, en se disant que les autres marcheurs ont sans doute préféré pénétrer plus dans le village pour avoir plus de choix. Bingo, nous sommes les seuls à dormir là. Pas de lit double mais la dame du lodge nous rapproche les deux petits lits et nous apporte deux couvertures et deux couettes. On est montés de plus de 700 mètres par rapport à hier, la nuit sera encore plus fraîche. De notre fenêtre de chambre, on observe des jeunes qui vont dormir en tente et on se demande pourquoi, la chambre ici coûtant seulement deux euros.

    On installe notre lit et on court dans l’autre bâtiment où se trouve la salle à manger. Quelle surprise, elle est envahie de locaux (guides ou conducteurs de caravanes de yack), réunis autour du poêle. Ils sont très souriants et nous réservent un bon accueil sans pour autant nous laisser deux chaises au chaud. On commande un thé, un chocolat chaud et des popcorns. On s’autorise ce petit plaisir puisqu’on a décidé de zapper la douche ce soir. On n’a pas le courage de se déshabiller, il fait trop froid. Nos boissons chaudes nous réchauffent mais rapidement le froid se fait ressentir. Il faut dire que les népalais squattent le poêle en anorak et bonnets mais laissent la porte ouverte s’ils sortent.

    Après avoir bu des pichets et des pichets de ce qu’on identifie comme étant du lait de yack, ils se lèvent tous pour aller dans une autre salle. On se précipite pour monopoliser deux chaises. La dame du lodge vient remettre des bouses de yack dans le poêle. On se sent tout de suite mieux. On les entend chanter à tue-tête à côté mais cela ne dure qu’une demi-heure. Ce soir la soupe est servie à 18h. On mange nos momos devant le poêle, on est bien.

    Deux népalais viennent regarder des photos avec nous et là, on s’aperçoit que le lait de yack était plus probablement du « Chang », l'alcool local à base d'orge étant donné leur état. L’un des deux s’endort, l’autre prend appui sur mon épaule, et un débat déchaîné se déclenche, au vu de nos clichés, pour définir la meilleure façon de distinguer les yacks des dzos. Au final, on n'y comprend rien mais on rit, on résiste un peu et on prend congé, un peu à reculons car on sait qu’il va faire froid dans la chambre. Je rajoute une couette à ce qu’elle nous avait déjà donné et on se couche tout habillés, avec les doudounes, les bonnets et les gants. Quand on va faire pipi, on ne peut même pas vider de l’eau dans les toilettes car les deux gros bidons d’eau sont complètement gelés. Mon Dieu qu’il fait froid !

    Mercredi 9 novembre

    Nous avons enlevé nos anoraks et moi mon legging et mes gants à l’occasion de la pause pipi de cette nuit car on avait chauffé un peu et ma foi, on n’a quand même pas trop mal dormi. Ce qui est difficilement envisageable dans cette situation, c’est de sortir du lit le matin ...

    Nous prenons notre courage à deux mains, nous ne perdons pas de temps à faire nos bagages et nous allons courageusement prendre notre petit déjeuner dans la salle à mange non chauffée. Routine habituelle : nous prenons un pancake, un porridge et ce matin, des toasts au fromage de yack. Tout ceci est chaud et roboratif et devrait nous éviter de nous arrêter ce midi. Depuis Namche, l’eau est très chère et, en haute altitude, il est recommandé de boire au moins trois litres d’eau par personne par jour pour combattre la déshydratation, et faciliter du même coup l’acclimatation... Du coup, depuis 4 jours, pour économiser un peu de sous, nous prenons l’eau du robinet à laquelle nous ajoutons des pastilles de micropur et du Tang bien entendu. Mais ce matin, pas de robinet accessible (je me demande d’ailleurs s’il était possible de prendre une douche) alors nous nous arrêtons au torrent qui traverse dans le village de Machhermo pour remplir nos bouteilles. L’étape ne devrait pas être trop longue, on ne prend donc que deux litres.

    En un rien de temps, nous voici en train de grimper sur une arête. Le soleil est là, dans toute sa splendeur. J’ai chaud. Il me faut vite enlever mon anorak. Combien de fois en une journée, faut-il se vêtir, puis se dévêtir avant de se revêtir plus chaudement encore à cause du vent froid qui souffle dans les vallées d'altitude plus exposées ? Tout commence bien gaiement sous ce soleil radieux jusqu’à ce qu’on voie des gens, nettement au-dessus de nous, sur un autre chemin. Manu n’y comprend plus rien : il regarde les cartes longuement jusqu’à estimer qu’il s’est peut-être trompé. Nous essayons donc de rattraper le chemin du haut en coupant à travers la montagne mais la montée est raide et nous essouffle. Ce qui est troublant, c’est que désormais, il y a également beaucoup de gens sur le chemin qu’on vient de quitter. On fait une pause et Manu re-re-regarde les cartes et me dit que c’est peut-être juste un point de vue qu’il y a là-haut. Ce qui dément cette hypothèse, c’est qu’au même moment, on voit un porteur passer sur le chemin du haut. Impossible qu’un porteur aille voir un point de vue, alors on reprend notre grimpette. Arrivés à bout de souffle, on croise un groupe de japonais dans le sens inverse. Ils viennent bien de quelque part quand même. On essaie de se rassurer comme on peut. Manu part devant, je me rapproche mais il me dit qu’il ne peut toujours pas trancher. Ce qui le met dans le doute, c’est qu’on voit toujours le porteur, à flanc de montagne, mais je trouve qu’il, ou plutôt elle (on a vu que c’était une fille) ne bouge pas beaucoup. Aucun chemin n’apparait autour d’elle. Manu, confirme mon hypothèse après avoir regardé aux jumelles : elle ramasse des plantes. Nous sommes bel et bien au point de vue. Oh nooonnn !

    Bon, pas le choix, demi-tour sur le bon chemin cette fois jusqu’à retrouver l’embranchement qui nous conduira au bon endroit. On a juste perdu deux heures. On s’autorise à boire en se disant qu’on trouvera bien un autre ruisseau.

    La crête franchie, la vallée s’élargit. Près de Pangka, les vues sont superbes. Le sentier redescend puis remonte pendant deux heures tout en se rapprochant de la Dudh Kosi. Aucun répit.

    Le sentier longe une paroi rocheuse, se faufile entre d'énormes blocs rocheux, traverse un torrent sur un vieux pont de bois et atteint la moraine terminale du glacier Ngojumba (Ngozumpa), un énorme amas de roches que le glacier a découpées à même le lit de la vallée lors de son avancée et qui se sont accumulées à son front. Nous nous y attaquons. On fait plusieurs petites pauses barres de céréales, fruits secs, boissons mais jamais très longues ce qui fait qu’on rattrape presque notre erreur du départ.  

    Progressant maintenant sur un sentier plus plat, la marche s'avère quand même essoufflante à cause de l'altitude qui dépasse 4 700 mètres. Et puis on oublie vite les difficultés quand on arrive en haut et qu’on trouve, à gauche du sentier, un premier lac, à l’eau bleue cristalline qui indique que nous approchons de Gokyo. Nous nous y arrêtons pour une courte pause.

    En un lieu désigné Longpongo, un deuxième lac un peu plus grand mais aussi beaucoup plus beau, le Tsho Paluwa, aussi appelé Taboche Tsho, lui succède (tsho signifie lac en tibétain).

    Enfin, miroitant sous un soleil radieux, l’eau turquoise du Gokyo Tsho (parfois désigné Dudh Pokhari), le troisième lac de Gokyo, apparait. C’est vraiment magnifique. Comme nous sommes arrivés à destination et qu’il fait encore soleil, nous profitons un peu plus du dernier : Manu prend des photos pendant que je me régale du spectacle.

    Sur sa rive est se dresse le vilage de Gokyo. Quelques habitations modestes, entourées de petits pâturages découpés par des murets de pierres, s’agrippent à la moraine latérale du glacier Ngojumba, le plus long du Népal. Au-delà, il n’y a plus d’habitations. C’est l’immensité. Que des montagnes barrant l’horizon jusqu’au Tibet.

    Manu espérait beaucoup des lodges de cette étape. Il a décidé depuis plusieurs jours de payer un peu plus cher pour qu’on ait une salle de bain et des toilettes privées. En gros, ras-le-bol de faire tout ça dehors à cette température. Il faut malheureusement visiter tous les lodges du village car deux seulement offrent cette possibilité. C’est décidé, nous irons au Fitzroy Inn. Mais ce soir, il faudra se contenter d’un seau d’eau chaude pour la toilette car la douche est dysfonctionnelle. A priori, ils nous proposeront une autre chambre demain.

    Nous descendons dans la salle à manger chauffée pour prendre une boisson chaude. Manu ressort pour faire quelques photos de fin de journée. L’hôtel surplombe le lac. Je veux profiter de la tranquillité du lieu pour avancer dans mon carnet de voyage car ici, pas de connexion Internet. Plus tard Manu revient content car il a bénéficié des derniers rayons de soleil pour photographier à nouveau le lac. Il a aussi saisi l’occasion pour aller voir le glacier situé juste au-dessus du village.

    Jeudi 10 novembre

    L’aller-retour au Gokyo-Ri est prévu pour aujourd’hui. Le propriétaire de l’hôtel nous confirme qu’il vaut mieux partir en fin d’après-midi pour profiter des couleurs du soleil couchant. Nous profitons de l’eau chaude pour laver nos chaussettes qui devraient sécher vite au soleil. Manu repart en expédition ce matin pour faire des photos des alentours. De mon côté, je préfère m’économiser et je reste dans la salle à manger, bien emmitouflée car elle n’est pas chauffée. Les nombreux atterrissages d’hélicoptères venant évacuer les touristes ayant présumé de leurs forces me distraient tout en m’effrayant un peu car ils démontrent bien la difficulté de ce que nous avons entrepris.

    Nous essayons de ne pas nous mettre en retard mais malheureusement on met du temps à nous servir, ce qui nous conduit à partir plus tard que prévu. Pendant le repas, je regarde le Gokyo Ri, un pic offrant, paraît-t-il, une vue exceptionnelle sur les sommets environnants. J’espère juste pouvoir y arriver… Nous changeons de chambre avant de partir.

    Pour atteindre la montagne, il nous faut d'abord traverser à gué un large torrent à la limite nord du lac. Manu ayant repéré le départ du chemin de la montée me suggère de partir bien plus à droite car le chemin emprunté par tout le monde est un terrain sur lequel nos Crocs sont susceptibles de déraper. Ce n’était pas forcément une bonne idée car nous nous retrouvons dans une sorte de maquis sur une pente à forte déclinaison et franchement, parfois, c’est un peu dangereux. Alors dès que nous le pouvons, nous rejoignons le chemin normal et nous continuons la montée dans une pente raide et caillouteuse. La grimpette est longue puisque l'ascension prend environ deux heures et demi (trois pour moi) à rythme lent. La montée ne présente aucune difficulté technique mais il faut composer avec l'essoufflement puisqu'on y dépasse la barre des 5 000 mètres. Nous faisons plusieurs courtes poses qui permettent à Manu de faire quelques photos. D’ici, la vue sur le glacier est époustouflante. Une longue masse de glace grisâtre s’étire à perte de vue. Régulièrement, nous entendons le grondement sourd du glacier Ngozumpa.

    À mi-chemin, la vue sur le grand lac de Gokyo est incroyablement belle.

    La faune se raréfie mais nous sommes tout de même observés par quelques perdrix.

    Le sentier se met à serpenter dans le flanc de la montagne adoucissant un brin la montée. Je grimpe lentement, m’arrêtant souvent pour reprendre mon souffle. Malgré l’essoufflement, je me sens en assez bonne forme. Manu profite d’un de mes arrêts pour photographier des oiseaux qui sont habitués à voir les touristes complètements exténués qu'ils ont oublié depuis longtemps de considérer comme des prédateurs.

    Au sommet, à bout de souffle, sans voix, le Gokyo Ri nous offre une vue panoramique sur l'Himalaya. On peut y apercevoir quatre 8 000 mètres et d'autres sommets gigantesques. La vue sur l'Everest, quoique dégagée, n'y est pas aussi impressionnante que sur le sommet du Kala Pattar toutefois. Par contre, le Lhotse y est parfaitement visible. On se sent minuscules. Sur 360 degrés, la vue est époustouflante. Le Cho Oyu (8 153 m), le Gyachung Kang (7 922 m), le Changtse (7 553 m), l’Everest (8 850 m), le Lhotse (8 501 m), le Makalu (8 463 m) découpent le ciel tandis qu’en bas, le glacier Ngozumpa s’étire sur des kilomètres. Le Cholatse (6 440 m), le Taboche (6 367 m), le Kangtega (6 685 m) et le Tamserku (6 608 m) viennent compléter cette superbe fresque du haut Himalaya.

    Ci-dessous, on nous voit heureux d’avoir atteint le sommet du Gokyo Ri, chaussés de nos Crocs, où battent au vent des drapeaux à prières. Au Khumbu, la plupart des pics et des cols fréquentés sont ornés de ces petits drapeaux censés protéger les lieux.

    Le pic de Gokyo (5 357 m) est balayé par de forts vents. Il fait très froid. Nous tâchons de nous mettre au soleil le plus possible. Quelques instants pour récupérer, quelques photos avec mon amoureux prises par un aimable japonais à qui nous rendons la pareille, un dernier tour d’horizon et j’amorce la descente. Manu reste jusqu’au coucher de soleil. J’ai parfois l’impression d'un grand vide à quelques centaines de pas droit devant. Comme si le sentier s'arrêtait brusquement au bord d’un ravin plongeant à la verticale dans le lac de Gokyo. Pourtant, en approchant du point de rupture appréhendé, il n'en est rien. Le sentier continue à zigzaguer dans la pente maintenant plus abrupte. Un guide regarde mes chaussures et surpris, me demande si je n’ai pas froid. Mais non, pas du tout ! La marche de retour est rapide et aisée sauf qu’une fois le soleil couché, on ne voit plus grand-chose. La prudence est de mise. Je dois être très attentive à l’endroit où je pose les pieds pour ne pas glisser. Sautillant de pierre en pierre pour éviter que mes Crocs ne prennent l’eau, je retraverse le gué à la lueur de la pleine lune.

    Une fois arrivée à l’hôtel, je me précipite dans notre chambre et j’allume et j’éteins plusieurs fois la lumière pour que Manu sache que je suis arrivée au cas où il se soucierait de moi. De mon côté, je commence à être inquiète. Je vois juste des petites lampes éparses qui descendent la montagne. J’ignore si Manu a pris la sienne. Il me rejoint finalement assez rapidement, ravi du spectacle auquel il a assisté. Je l’imagine, flottant dans cet air mince, à contempler dame nature qui, ayant revêtu ses plus beaux habits, a exhibé sans retenue, à la fois sa grâce et son gigantisme... Les unes après les autres, il a vu les montagnes s’allumer, révélant tour à tour leurs couleurs de feu... Je ne mets qu’une photo mais je vous engage vraiment à aller voir sur l’album photos car elles sont toutes plus belles les unes que les autres.

    Vendredi 11 novembre

    Avoir insisté pour avoir une chambre avec vue sur le lac s’avère inutile car au lever, les fenêtres de la chambre sont gelées ! Nous ne tardons pas à partir ce matin car nous savons tous les deux que la traversée du Renjo La sera difficile. La traversée ce haut col s’ajoute à notre aventure en présentant des défis significatifs au plan physique, tout en offrant la possibilité de contempler de vastes paysages demeurés à l'état sauvage en raison de sa difficulté d'accès. Comme des Sioux sur le sentier de la guerre, nous avançons lentement. Il fait très froid, nous devons plusieurs fois traverser des parties gelées.

    Nous apercevons le sentier (à droite sur la photo) que nous allons devoir emprunter. Je réalise en même temps toute la distance à parcourir sur ces sentiers caillouteux, poussiéreux et pentus qui me font de plus en plus souffler.

    La route du Renjo La étant très accidentée, nous ne croisons pas de caravanes de yacks qui ne peuvent pas facilement l'emprunter. La montée est longue. Le sentier s'amincit et la pente s'accentue. Le pas est de plus en plus lent. Malgré cette lenteur, le cœur bat vite et je dois m’arrêter de plus en plus fréquemment. Que d'énergie ne faut-il pas dépenser pour gagner chaque mètre de dénivellation ! Plus haut, il n'y a plus de sentier. Plutôt, un amoncellement de grosses roches granitiques nécessitant de grandes enjambées pour s'y hisser. Je vois enfin battre au vent les drapeaux à prières marquant le sommet. Je m'arrête encore car par moment, je crois que je n’y arriverai pas. Le cœur bat vite et fort. Je me sens épuisée.

    Manu a touché au but et me crie de loin ses encouragements pendant que je traîne les pieds dans la côte. Me remettre en mouvement m'est à chaque fois pénible. Je regarde le sommet et tâche d'évaluer si je peux donner « l’assaut final » afin d'en finir. Allons-y. Cette fois, je m’arrêterai au sommet… pas avant. Je me remets à grimper et m’interdis désormais de regarder là-haut. Je compte mes pas… dix petits pas. Bref arrêt, respirations profondes. Puis dix autres, nouvel arrêt. Je grimpe ainsi comme dans un film au ralenti.

    Complètements éreintée, je rejoins Manu. Nous nous tapons réciproquement dans les mains et nous tombons dans les bras l’un de l’autre. À coup de petits pas insignifiants, j’ai réussi à atteindre ce sommet. J’observe le paysage absolument sublime il est vrai mais en même temps, dans une sorte d'état second, je discerne avec clairvoyance tous les efforts déployés pour réaliser cela : un projet à la limite de mes capacités. Jamais de toute ma vie je n’ai dû fournir un tel effort physique.

    À partir de maintenant, nous amorçons la descente, ce qui change mon état d’esprit. Je suis toujours plus à l’aise dans les descentes. Oh, il y aura encore des montées forcément, mais au cours des prochains jours, nous passerons rapidement de 5 345 mètres à 2 800 mètres. Comme d’habitude dans ces circonstances, je passe devant. Plusieurs fois, je dois attendre Manu qui a maintenant l’air de peiner. Nous descendons au fond de la vallée en suivant une piste bien marquée et en prenant soin, au seul endroit litigieux, de sélectionner la bonne direction. Nous ne croisons presque personne de la journée, il faut donc faire preuve d'une autonomie quasi-totale.

    Nous trouvons un peu plus bas, sous un pont permettant de traverser la rivière, une sorte de petite plage de sable blanc très fin sur laquelle nous nous arrêtons un moment. Nous trempons nos pieds dans cette eau glacée qui nous revigore un peu et nous lavons nos Crocs pleines de poussière. Plus loin, le temps d’une photo, nous nous allongeons dans du sable. Je sens que Manu est fatigué. Les nuages recouvrent la vallée. Il vente et il fait froid. Au loin, la vue de quelques maisons nous donne un petit regain d’énergie. Nous pressons le pas tant bien que mal !

    Nous atteignons Lumde alors que le soleil a vraiment commencé à décliner. Nous trouvons un lodge qui nous propose une chambre sommaire dans laquelle nous posons vite nos sacs et, en attendant le dîner, nous rejoignons la salle à manger du lodge, déjà bien envahie. La pièce principale aux larges fenêtres est toute petite et bien chauffée. Adossées aux murs, tout autour de la pièce, des banquettes de bois, recouvertes d’épais tapis, servent à s’asseoir. A bout de force, nous profitons de la chaleur, sans pouvoir faire quoi que ce soit d’autre. Manu, pourtant collé contre le poêle, a bien du mal à se réchauffer.

    Ce soir, je mange mes pâtes sans grand appétit. Manu se voit servir un autre plat que ce qu’il avait demandé. Tant pis, il mange. Quelques minutes plus tard, un français qui n’a pas été servi réclame son assiette qui avait été servie à Manu ! Il est près de 20h lorsque nous nous emmitouflons dans nos duvets. Nous tâchons de bouger le moins possible. Manu commence à vraiment souffrir au niveau des chevilles car ses boutons de moustiques se sont vraiment infectés. Nous nous réveillons presque contents d’avoir passé une très bonne nuit. J’ouvre mon Kindle pour lire l’heure : 23h30. Ouach ! Manu prend un médicament contre le mal de tête. Incapables de nous rendormir, nous nous relevons plus tard pour faire pipi. Manu a le courage de sortir malgré le froid (en fait, il y fait à peine plus froid que dans la chambre) pendant que je réutilise ma tactique avec une bouteille. Je n'ai rien d'autre à faire que de compter des montagnes…

    Samedi 12 novembre

    Sortir des duvets ce matin nous est pénible encore une fois. Nous habiller l’est encore davantage. Nous gelons. Comme d'habitude, nous sommes les derniers à prendre notre petit déjeuner. Revêtus de toutes nos couches de vêtements, bonnet sur les oreilles, nous mangeons notre porridge en grelottant et en tapant des pieds. Heureusement que nous avons notre thermos de café. Ce matin, j’ai du mal à retenir mes larmes qui expriment ma fatigue. Je n’en peux plus. Pourquoi suis-je là à grelotter ? Pourquoi ai-je malgré tout tant envie de poursuivre la route... coûte que coûte, sans broncher ? Qu’est-ce que je suis venu faire ici ? Loin de tout. Loin de tous. Pourquoi faut-il se donner tant de misère ? La seule réponse que j’ai, c’est l’amour inconditionnel que je porte à Manu qui me conduit à épouser tous ses choix. Je ne veux surtout pas le décevoir…

    Photo "historique" ayant suscité le plus de réactions de soutien sur notre groupe Facebook

    Le propriétaire du lodge vient nous dire que c’est bien la première fois qu’il voit des gens faire le trek avec notre type de chaussures, ce qui me redonne le sourire. Nous amorçons la descente. Nous avons une longue route à parcourir aujourd'hui car nous imaginons pouvoir aller jusqu’à Namche. Nous nous réchauffons en marchant. Les muscles retrouvent leur souplesse, la respiration est courte mais régulière, le rythme est bon. Jour après jour, je me suis transformée en machine à marcher.

    Le paysage est austère. Le sentier traverse des kharkas, pâturages de haute altitude constitués de plusieurs champs contigus de petites dimensions, entourés de murets de pierres. Comme c'est souvent le cas en pays de haute montagne, on pratique ici la transhumance. L’été, les jeunes membres des familles sherpas viennent faire paître leurs troupeaux de yacks dans ces kharkas. À mesure que l'été avance, ils déplacent leurs troupeaux d’une kharka à l’autre, gagnant en altitude à mesure que l’herbe devient rare en bas, et que la neige fond plus haut.

    Il n'y a plus de neige au sol. La descente s'adoucit peu à peu, la vallée s'élargit et l'espace s'épanouit. De gros yacks bien poilus essaient de paître dans les petites prairies, perdus au milieu de nulle part. Les superbes bêtes tentent tant bien que mal de brouter mais il reste bien peu d'herbe verte sur ce sol ingrat.

    L’inscription qui figure sur une pierre nous fait sourire. Un yack à la fois seulement sur ce petit pont suspendu que nous pensons devoir emprunter!

    Mais nous rendons compte, après avoir demandé confirmation à une habitante du prochain petit village, que nous avons fait fausse route. Un guide que nous avions croisé plusieurs fois a pourtant tenté de nous avertir en sifflant mais nous ne savions pas si ce sifflement nous était vraiment destiné. Dans ce monde de titans, nous sommes complètement à la merci de la montagne. Elle ne nous est pas favorable aujourd'hui. Encore près d'une heure d'efforts pour rien, il faut rebrousser chemin. Déception certes mais relative ! La fatigue assurément.

    Nous réussissons à regagner la route de Thame où la végétation réapparaît timidement. Les maisons sont entourées de petits champs emmurés servant à la culture à la saison chaude. À Thame est érigé un illustre monastère bouddhiste construit à flanc de montagne à la manière tibétaine, sur l'ancienne route des caravanes de yacks qui assuraient le commerce du sel et du grain entre le Népal et le Tibet par le col Nangpa La. A l’entrée du village, un Gompa se dresse au milieu de la piste afin que les passants puissent le contourner par la gauche comme le veut la coutume bouddhiste. Nous rencontrons là un vieil homme qui habite Thame. Il nous incite à nous arrêter dormir ici. Selon lui, rejoindre Namche maintenant est trop difficile. Il nous montre sa maison de loin, qu’il est en train de reconstruire car elle a été complètement démolie lors du tremblement de terre. A sa demande, nous lui donnons un petit billet. Il admet à ce moment qu’il est possible d’atteindre Namche en deux heures sans sac, en presque trois chargés.

    Le sentier commence par une belle descente vers le sud-est sur un versant raide dominant la rivière Bhote Koshi de plusieurs centaines de mètres. Au loin retentit un grondement sourd, et soudain nous apercevons un pont qui surplombe la rivière, véritable torrent alimenté par des quantités d'eau incroyable !

    A la sortie du pont, nous reprenons le chemin très humide au niveau de très beaux portraits de Bouddha, qui doit sûrement veiller sur cet endroit.

    Le chemin suit des marches de pierres. La végétation rase et buissonneuse fait place à une forêt peuplée de rhododendrons, sapins, pins et cyprès. Au bout d'une heure de marche environ, les hameaux de Samde, Thamte et Thamo (3600 m) se succèdent, exposant de nombreux édifices bouddhistes. Approchant d’un village, la pente s'accentue tandis que le sentier se faufile en serpentant à travers une forêt clairsemée qui habille tant bien que mal le versant de la montagne. Nous demandons à une habitante où nous nous trouvons et Manu ne la croit pas lorsqu’elle nous affirme que nous sommes à Thamo. C’est impossible pour lui car nous sommes bel et bien rive gauche alors que Thamo figure rive droite sur notre carte.

    Nous sommes encore une fois victime d’une erreur de topographie, qui ne nous a au moins pas fait perdre de temps cette fois. Il faut s’armer de courage car la route est encore longue. Comme un fil interminable, le sentier descend en s'accrochant aux murs des vallées qui se succèdent tout au long du parcours. A chaque passage de torrent, il faut consacrer une énergie toujours plus rare à contourner les flancs du val, sur plusieurs dizaines ou plusieurs centaines de mètres, descendre puis remonter d'autant, avant de poursuivre la route. La végétation étant de retour, le paysage s'est quelque peu adouci. Le sentier serpente sur le flanc d'une montagne. Sur la gauche, au fond d'un ravin, coule toujours bruyamment la Bothe Khoshi, cettee rivière impétueuse aux eaux turquoises.

    Manu marche lentement derrière moi. Je lui demande régulièrement si ça va et il parvient à chaque fois à lâcher un oui minuscule, timide, enroué, étouffé. Mais un oui tout de même, car il faut continuer, accrochés comme un aimant sur ce sentier qui, à chaque tournant, continue à s'étirer loin en avant jusqu'au prochain tournant qui cache on ne sait quoi. Mais ses pas témoignent pourtant de sa grande fatigue. À pas lents, nous amorçons la grande descente qui nous ramène dans la capitale du pays Sherpa.

    Enfin arrivé au village, Manu est tellement fatigué qu’il a perdu son sens de l’orientation. Je lui soutiens que nous devons redescendre un peu pour retrouver le même hôtel que la dernière fois. Persuadé du contraire, il tient à vérifier, en devant pour cela grimper les fameuses marches de Namche. Je l’attends en bas. Je le vois dépité, tout en haut des escaliers, reconnaître son erreur et entreprendre la descente tel un vieillard. Dès qu’il est assez près pour m’entendre, je lui demande d’accélérer la cadence car il y a beaucoup de personnes qui sont en train de réserver un logement et j’ai peur que nous n’ayons pas de place. Mais il ne peut pas. Cette manie de vouloir toujours tout vérifier lui sera fatale et, quand nous rejoignons enfin notre chambre, il est exténué. Il tient à peine debout.

    Il ne peut plus bouger et a 39°5. Cette fois, nous ne lésinons pas. La jeune fille de l’accueil nous a pourtant reconnus et a décroché fièrement une clé en nous disant « same room last time ». Mais non, là, on a demandé une chambre de luxe, avec du confort. Elle nous conduit alors, dans une autre aile de l’établissement, à une vaste chambre avec un très grand lit et une couverture chauffante sous laquelle Manu se glisse sans demander son reste après avoir pris de quoi faire baisser sa fièvre. Il s’endort pendant que moi, je m’écroule, en pleurs. Non mais, ça va bientôt finir ce cirque ? J’en ai assez. Je pense à ceux et celles que j’aime tant, qui, à cette heure, vaquent à leurs occupations… à l’autre bout du monde. Nous n’avons pas communiqué depuis plusieurs jours sur Internet alors je décide de dire la vérité et de partager mon état d’esprit, qui n’est pas brillant. Mon article est à peine mis en ligne que déjà les messages d’encouragement affluent. Je redouble de pleurs en lisant chacun d’entre eux. J’appelle Emilie qui s’inquiète. J’essaie de la rassurer, en larme… J’hésite à brancher la petite clé USB de la crèche contenant les vidéos d'encouragement collectées par Béa mais je crois que voir de nouveau des témoignages d’amitié m’achèverait. Je la garde pour Noël.

    J’insiste auprès de Manu, une fois qu’il est réveillé, pour que nous allions dîner. Nous sautons déjà le plus souvent le repas de midi, il faut bien que nous cherchions à reprendre quelques forces. Il fait l’effort de se lever et réussit à manger. De mon côté, j’ai 38°5, un tantinet mal à la gorge mais je dévore une énorme assiette de pâtes dégoulinantes de fromage…

    Dimanche 13 novembre

    Au réveil, je lis les cinquante réponses reçues sur Facebook qui me réchauffent le cœur en me tirant encore quelques larmes. Mais ça va pourtant nettement mieux. Nous avons passé une bonne nuit. Manu a nettement moins de fièvre et moi un peu plus mal à la gorge. Depuis hier dans la journée, Manu a deux doigts douloureux au niveau du tour des ongles. Cela ressemble beaucoup à des panaris.

    Après le petit déjeuner, nous lézardons dans la salle principale du lodge exposée en partie au soleil. Nous profitons de la connexion Internet pour régler quelques problèmes administratifs, devant grand un pot de café. Nous quittons l’hôtel en tout début d’après-midi en direction d’une pharmacie. Nous devons absolument désinfecter les multiples plaies de Manu.

    Nous entrons dans une première pharmacie, vide, dans laquelle on nous demande d’attendre, le temps d’aller chercher la vendeuse. Effectivement, elle nous fait un signe de sa fenêtre dans la rue un peu plus loin, sans rejoindre son officine pour autant. Dans la deuxième pharmacie, c’est la vendeuse de la boutique de souvenirs d’à côté qui nous dit de nous servir directement dans les rayons. On trouve tant bien que mal un flacon de Bétadine, une crème antifongique et des Strepsil. La vendeuse est manifestement en relation vidéo téléphonique avec un enfant à qui elle demande de faire coucou à Manu. Au moment de payer, je fais remarquer à Manu que les pastilles contre le mal de gorge sont plus chères ici que dans l’épicerie. Elle comprend et me dit que c’est ce prix-là, ou rien !

    Dans la rue, je soigne les malléoles de Manu. Il faut trouver une solution pour écarter les pansements des plaies qui ont sinon tendance à coller sur ses blessures qui suintent. On récupère deux bagues de bouteilles d’eau qu’on intercale entre la peau et les pansements. Pendant ce temps, il fait tremper ses doigts dans la Bétadine.

    Nous quittons Namche pour rejoindre Phakding par la route de l'aller. Nous retrouvons sur le chemin l'animation du départ : beaucoup de touristes qui montent. Nous reconnaissons certains endroits, et notamment les superbes ponts qui traversent la rivière Dudh Kosi. Je m’engage sur une de ces passerelles. Elle craque et ondule sous les pas des porteurs qui arrivent en face de moi. Déstabilisée par moment, je ralentis le pas et m’agrippe au câble de suspension latéral qui sert également de rambarde. Mais il n’y a pas de temps à perdre. Je repars aussitôt avant d’entendre le tintement des cloches à yacks qui pourrait annoncer l’arrivée d’une caravane.

    A l’arrivée, nous retrouvons un des membres de l’équipée allemande (que nous suivons depuis plusieurs jours) qui attend les retardataires. Manu donne le change pendant que je le filme sur cette vidéo mais il a pourtant du mal à suivre…

    Un des guides des allemands me dit qu’il n’est pas raisonnable de continuer jusqu’à Phalding, d'autant qu'au cours de notre descente du jour, nous avons encore perdu une demi-heure pour avoir choisi un mauvais embranchement sur cette piste pourtant si fréquentée. Il nous attend à Jorsalle où ils vont passer la nuit. Nous les rejoignons dans la salle principale de leur lodge mais nous ne prendrons qu’une boisson chaude car bien qu'apparemment moins en forme qu’eux, nous voulons quand même continuer encore un peu. Nous continuerons d'ailleurs notre chassé-croisé jusqu'à Lukla, que nous atteindrons juste avant eux...

    Nous posons nos sacs dans un hôtel à Chhmuwa pour y passer la nuit. Là encore, il fait très froid alors nous rejoignons toute une équipe d’anglophones (The Intrepids) déjà bien réchauffée dans la salle à manger. Nous dînons avec de la musique qu’ils ont demandée à mettre forte, pour danser. Entrant dans leur jeu, nous nous joignons à eux quelques instants, au grand dam peut-être des plus anciens d'entre eux, qui semblent à moitié effondrés au fond de la salle: il s'agit manifestement d'un groupe d'une grande hétérogénéité. Il faut dire qu’ils ont déjà acheté presque toutes les bouteilles de rhum disponibles. Curieuse manière (pour eux comme pour nous) de terminer un trek de haute montagne...

    Lundi 14 novembre

    Manu fait ses soins consciencieusement. Ce matin, il a des blessures au niveau des deux narines qui ressemblent à de l’impétigo… Côte à côte, nous reprenons la route. Aussitôt partis, aussitôt en descente dans cette longue pente qui nous a tant fait suer lors de notre arrivée dans le Khumbu. Peu de temps après notre départ, nous croisons des coureurs qui participent à l’Everest Trail Race trail. Impressionnant !

    Nous devons nous arrêter régulièrement car nous avons le même rythme qu’une caravane de mules qui peine à en croiser d’autres lors des passages étroits. Nous croisons les nouveaux trekkeurs qui montent. Ils n'ont pas encore cette fierté de ceux qui "ont fait" et qui "ont vu". Nous saluons donc allègrement de « namaste » encourageants les marcheurs essoufflés qui, sous un soleil ardent, grimpent péniblement derrière ces caravanes.

    Nous nous arrêtons dans un lodge pour déjeuner à l’extérieur sur une terrasse un peu ensoleillée. Un petit garçon sherpa timide au début mais curieux finit par nous tenir compagnie pendant le repas.

    Il y à peine une douzaine de jours, nous partions à la découverte du Khumbu en marchant en direction opposée sur ce même sentier. L'enthousiasme était là. Aujourd'hui, je ne ressens aucune nostalgie, la fatigue et l'envie de rentrer à Katmandou au plus vite l’emporte. Je m'arrête pourtant fréquemment pour regarder en arrière, tâchant de saisir en un rapide balayage des yeux les dernières images qu'offrent les sommets du haut Khumbu déjà loin au nord. Dans une boucle, l’Everest se laisse apercevoir une dernière fois au loin derrière la crête du Nuptse. Cette dernière vue sur ce qu’était l’objectif ultime de notre expédition me fait un drôle d'effet. Il est là, dans toute sa majesté, entouré de montagnes tout aussi impressionnantes. Là où la terre rencontre le ciel et pourtant, je ne suis pas fâchée de le quitter !

    Reste à comprendre pourquoi ce point de vue se situe juste à côté de... toilettes publiques précisément réputées pour cette caractéristique. Il aurait peut-être été plus vendeur, touristiquement parlant, de séparer ces deux espaces de quelques centaines de mètres...

    Les grandes distances que nous venons de dévaler presque sans répit commencent à réveiller mes genoux, mon point faible en descente. Je connais bien le symptôme. Je sentirai la douleur cette nuit encore et ç’en sera terminé.

    Ici et là, des arbres portent encore des fleurs en cette mi-novembre. La toute dernière partie de cette longue journée de descente est particulièrement casse-pattes : il faut monter quelques centaines de mètres pour atteindre Lukla. Pendant la longue remontée sur le village, le soleil commence à baisser. Nous sommes pourtant pressés d’arriver mais, désorientés une dernière fois par les imprécisions de la carte, nous sommes, au détour d'un dernier virage tous les deux surpris de déjà franchir le gros kani, sorte d'arche sous lequel passe le sentier qui marque l'arrivée à Lukla. Le kani a pour fonction de débarrasser les passants des esprits mauvais qui pourraient les accompagner avant d'entrer dans le village. Malgré la fatigue, nous nous "hi-fivons" avec allégresse, nous nageons en plein bonheur.

    Nous filons directement à l’aéroport dans l’espoir de trouver deux places qui resteraient disponibles dans un avion. On nous dit que le dernier avion de notre compagnie (Simrik) est parti il y a quinze minutes. Il est fréquent que le brouillard ou le vent empêchent les décollages pendant toute une journée, parfois même deux. Il y a souvent aussi des problèmes de surbooking. Pour faire face à ce genre de situation, il faut toujours prévoir quelques journées additionnelles lors de la planification d’un trek dans le Khumbu. Avant même de trouver un endroit pour dormir, Manu tient à vérifier que l’agence Simrik (bien planquée dans le village) a bien pris en compte notre réservation qu’il a demandé à notre agent de confirmer lors de notre matinée à Namche hier matin. Bien lui en a pris car ils ne nous trouvent sur aucun vol. S’ensuit un long échange de textos avec notre agent. Nous commençons à nous énerver car, inquiets de la santé de Manu qui se dégrade de jour en jour, nous envisageons de devoir aller à l’hôpital de Katmandu. Au terme d'une négociation serrée, le message finit par passer : nous pourrons nous présenter demain matin, à partir de 9h30 à l’aéroport.

    Manu voudrait trouver de la Chlorhexidine pour désinfecter ses plaies mais il faut pour cela trouver l’unique pharmacie, ce qui s’avère difficile, d’autant plus qu’un habitant sur deux nous dit qu’il n’y en a pas. C’est maintenant moi qui traîne le pas. Je grelotte, j’ai mal partout, je rêve de me coucher.

    Nous croisons des petites filles qui rentrent de l’école et qui me dévisagent de la tête aux pieds à cause de ma jupe et de mes Crocs, comme je l’ai été des dizaines de fois par jour lors de ce trek par les habitants des villages, les porteurs et les trekkeurs.

    Nous trouvons un hôtel surplombant une pâtisserie plutôt haut de gamme, qui propose des couvertures chauffantes sur les lits. Fiévreuse, je me glisse dans le lit. J’ai la certitude d’avoir une angine depuis quelques jours. La couverture ne fonctionnant pas bien, Manu l’échange avec celle du lit de la chambre d’à côté, restée ouverte, dans laquelle il se glisse discrètement pour procéder à la permutation. Je somnole pendant qu’il opère ce changement. Une fois le médicament contre la fièvre ayant fait son effet, je rédige un mail pour demander conseil à nos experts médicaux de France, médecin et famille de pharmaciens. Notre médecin a besoin de détails pour établir un diagnostic qu’on ne réussit pas à lui donner car la connexion est pratiquement inexistante. Puis nous avons la désagréable surprise de dîner, dans cet établissement plutôt bien tenu, dans une salle non chauffée. Du coup, malgré que la lune soit exceptionnelle ce soir, et les pizzas délicieuss, nous regagnons très vite notre chambre.

    Nous réussissons quand même à envoyer des photos des blessures de Manu, via Facebook car il est impossible d’avoir un accès aux boites mail, avant de nous endormir. Six heures plus tard, je tremble de nouveau car mon médicament ne fait plus effet, ce qui me permet d’échanger avec mon médecin, connecté de son côté. Il confirme ce que nous avions supposé (boutons de moustiques surinfectés, panaris et impétigo) et nous indique la marche à suivre, plutôt minimaliste par rapport aux autres conseils reçus d'une dermatologue amie de la famille.

    Mardi 15 novembre

    Nous sommes réveillés par une douce musique qui n’en finit pas et qui restera pour toujours dans notre mémoire « Tibetan Incantation ». Tellement relaxant qu’il faut se faire violence pour sortir du lit. Une bonne odeur de viennoiseries fraîches sentie en arrivant hier nous motive. Nous descendons dans la boutique prendre le petit déjeuner en dégustant de bonnes pâtisseries dont je profite quand même malgré l’état de ma gorge.

    A l’heure à l’aéroport, nos bagages sont soumis à la pesée avant une longue attente dans une salle d’un froid transperçant. D’ailleurs, un groupe de trekkeurs russes, bientôt rejoint par des italiens, entreprend de danser pour se réchauffer. Peu à peu, la salle d’embarquement se transforme en salle de danse. Nous décollons à près de midi. Nous profitons de nouveau de ce vol pour observer les très belles rizières. On a une belle illustration du fait que la majorité de la population du Népal vit au sein de petits villages dispersés dans les basses terres, perchés dans les collines, accrochés à flanc de montagne ou blottis au creux des hautes vallées himalayennes.  

     

    Nous prenons un taxi pour nous conduire à notre hôtel. Nous retrouvons le concert de klaxons et de clochettes qui règle la circulation ici, puisqu'il n'y a, dans les quartiers que nous traversons, ni arrêt, ni feu de circulation. Vite on se dépêche de rentrer dans le rang en dépassant à droite en klaxonnant. À croire que les véhicules sont propulsés au son du klaxon. C'est une cacophonie qui ne cesse que la nuit tombée. Ici, le recours au klaxon n'est pas un geste d'impatience, il veut dire simplement... attention je suis là.

    De retour à l'hôtel, nous nous voyons attribuer une très grande chambre de luxe, tout près de la terrasse située sur le toit.

    Manu va récupérer nos deux sacs restés ici. Il me dit les avoir retrouvés dans un endroit très encombré, l’un deux (bien évidemment celui qui n’était pas bien fermé) la tête en bas. Je vois tout de suite qu’il manque un petit sac en tissu vert ainsi que le nécessaire à couture que nous avions acheté juste avant de partir.

    Nous ne devons pas perdre de temps pour donner nos vêtements à laver. Il faut pouvoir faire deux lessives, à un jour d’intervalle pour avoir quand même quelque chose à nous mettre. La première laverie qu’on nous indique, dans un quartier un peu reculé, nous propose un prix que nous jugeons trop élevé. On s’arrête manger un peu dans la cour d’un petit restaurant local avant de reprendre notre quête. Puis nous trouvons, en bordure de Thamel, un sculpteur de pierre qui propose un service de « laundry » en plus. En déposant notre sac maintenant (il se recule en l’ouvrant pour vérifier, tellement l’odeur des chaussettes démontre à quel point elles ont besoin d’être lavées), nous pourrons le récupérer demain après 18h.

    Le soleil commence à décliner quand, voulant profiter de ses derniers rayons, je rejoins la terrasse de notre hôtel. Le froid devient très vite pénétrant alors je regagne notre chambre où Manu n’a pas terminé de soigner ses nombreuses plaies. Nous donnons des nouvelles à nos contacts médicaux (médecin et belle-sœur) avant de sortir dîner dans le jardin du restaurant tout près de notre hôtel.

    Mercredi 16 novembre

    J’ai hâte d’aller chercher nos écussons avec notre logo. Il faut traverser Thamel pour cela. Nous enchaînons alors les rues flanquées de petites échoppes où l'on vend vêtements, bijoux, objets souvenirs pour touristes, œuvres d'art traditionnelles, matériel de montagne... On voit ici et là, encastrés dans le mur extérieur d'une maison ou érigés sur la devanture d'une échoppe, des petits temples. On croise un minibus avec un sticker Montessori, je n’en reviens pas !

    Puis ce que nous redoutions arrive : l’employé de notre magasin de couture ne trouve rien, pas même la moindre trace de commande, et son patron est absent pour plusieurs jours. Je me mets dans une telle colère qu’il finit par retrouver, sous une pile d’autres papiers, notre dessin avec toutes les consignes des couleurs à utiliser. J’exige de récupérer mon argent, je m'emporte de plus en plus fort après ce pauvre exécutant qui n’y est pas pour grand-chose. Il me promet alors de réaliser les écussons pour 18h ce soir.

    En rentrant à l'hôtel, nous sommes très contents de trouver un gros sachet de poudre Tang dans une minuscule boutique, car nous arrivons au bout de nos sachets indonésiens.

    Pour déjeuner, nous nous installons par erreur sur la terrasse d’un restaurant coréen mais nous n’aimons pas trop cela, ni l’un ni l’autre. Puis nous renouvelons notre nécessaire de couture, rachetons de quoi soigner Manu pendant plusieurs jours encore car c’est très facile ici. Logeant presque en face d’un hôpital, nous avons l’embarras du choix concernant les pharmacies dans notre quartier. La pharmacie qui nous a vendu ce qui nous a été conseillé était tenue par un homme vraiment compétent, assisté d’un très jeune employé tout aussi prometteur. Au moindre nom de molécule, l'un et l'autre savaient exactement de quoi il s'agissait et pouvaient le plus souvent nous servir immédiatement, les ordonnances n'étant absolument pas nécessaires, y compris pour les différentes classes d'antibiotiques... Ce doit être un paradis pour les drogués. Pour ma part, je refais sagement le plein de Strepsils car du côté de ma gorge, c’est loin de s’améliorer.

    Sur la terrasse du toit de notre hôtel, je couds les écussons que nous avons achetés à Namche sur nos sacs tout en cherchant sur Google des sites liant Montessori et Katmandou, ayant eu mon attention attirée sur ce point par un véhicule entrevu un peu plus tôt sur un boulevard de la ville. Je trouve plusieurs établissements qui appliquent cette pédagogie. Je rentre en contact avec l’un d’entre d’eux via Facebook mais je ne donnerai pas suite car je ne vois, dans leur site, pas grand-chose de plus qu’une « garderie » basique. Je préfèrerais aller en visiter un autre mais Manu juge qu’il se situe trop loin de notre lieu de résidence.

    En soirée, nous échangeons notre sac de linge propre contre un nouveau de linge sale et courrons voir ce qu’il en est de nos écussons avant d’aller dîner. Il faut pour cela faire face aux nombreux harceleurs de rue. Manu a décidé depuis le début de les ignorer en accélérant le pas et en fixant son regard droit devant. Je trouve plus correct d’au moins leur répondre. L'un d'eux nous barre carrément le chemin: « Tiger balm Sir! » Malgré mon insistance à lui dire que je ne suis pas intéressée, il s’accroche, me vante les qualités de son baume magique et tente de me convaincre en abaissant son prix. Je me remets en marche. Il marche à mes côtés, cherche à attirer mon regard et me propose de lui faire une offre. C’est presqu'une supplication. Puisque je lui prêtre attention, il s’accroche et insiste, croyant sans doute que je suis sur le point de déclarer forfait. Il ne me laisse plus le choix. J’arrête la conversation et j’adopte la position de Manu. Il lâche prise enfin sans manifester le moindre mécontentement, à mon grand étonnement. Aussitôt, un autre vendeur, attendant sans doute son tour en surveillant la scène, se présente avec cette fois un instrument de musique, une sorte petite cithare traditionnelle népalaise. Il faudra s’y faire, ainsi va le négoce à Katmandou. Pendant des siècles, c’est par Katmandou que transitaient les marchandises servant aux échanges entre l’Inde et le Tibet. Les Newars, premiers habitants de la vallée, étaient de grands commerçants. À en juger par ces vendeurs de rues, leurs descendants n’ont rien perdu de cette passion pour le commerce ! Nous rentrons nous coucher, arborant fièrement nos sacs à dos portants notre logo, après avoir vivement remercié le couturier de la boutique.

    Jeudi 17 novembre

    Matinée shopping : Manu renouvelle sa chemise bleue, je me rachète une jupe de secours pour le jour où celle qui m’accompagne depuis le départ va me lâcher.

    Je rentre à l’hôtel car j’ai du mal à me réchauffer dans les rues glaciales de Katmandou. Manu reste un peu pour faire de très belles photos de rues. Tentant de se faire le plus discret possible, il a observé le va-et-vient des gens dans leur quotidien.

    Nous cherchons sérieusement cette fois un endroit où désormais nous poser un peu. Nous choisissons Phuket car nous sommes sûrs que nous n’aurons rien de fatigant à y faire : pas de plongée, pas d’excursion, juste nous reposer et prendre le temps de nous mettre à jour dans nos photos et travaux d’écriture. Nous sommes désappointés quand nous vérifions la météo car soleil et éclaircies, mais aussi nuages, pluies et orages sont annoncés non seulement à Phuket mais aussi sur toute la Thaïlande. Nous cherchons d’autres endroits mais plus généralement, il y a une queue de mousson sur toute l’Asie du Sud-Est qui occasionne du mauvais temps, à moins d’aller vraiment tout au nord, vers le Laos ou la Birmanie. Tant pis, il faut bien se décider, nous choisissons de prendre le risque et achetons nos billets d’avion pour demain, direction Phuket.

    Puis nous allons déjeuner, toujours dans le petit restau du coin que Manu affectionne particulièrement avant de confier ses Crocs à un petit cordonnier car leurs semelles se sont usées au point de commencer à percer légèrement.

    Nous profitons du soleil de la terrasse jusqu’au maximum cet après-midi avant de repartir pour la soirée. Nous récupérons d’abord notre linge propre. Nous restons un long moment dans cette boutique car l'artisan qui la tient est vraiment adorable. Je lui achète des bracelet et Manu lui commande une plaque pour Canouville que nous viendrons rechercher demain. Nous trouvons ensuite une boutique vendant des écussons représentant les drapeaux de tous les pays du monde qui, surtout, accepte de les coudre sur nos sacs. Nous repartons au pas de course chercher celui de Manu à l’hôtel, nous laissons nos deux sacs au couturiers qui seront également à reprendre demain. Et nous allons dîner au Bon Appétit, un peu plus cher que d'habitude, car situé en plein coeur du quartier touristique.

    Vendredi 18 novembre

    Je résiste à l’idée de me mettre sous antibiotiques malgré l’état de ma gorge encore ce matin. Nous commençons la journée en allant chercher nos sacs à dos, couverts désormais des drapeaux des pays traversés durant ce périple et nous rentrons, car nous devons libérer la chambre à 10 heures.

    En préparant mon sac, je me rends compte qu’après la trousse de couture, il me manque aussi mon short. Nous demandons par conséquent à revérifier dans l’endroit où étaient stockés nos sacs. Je ne trouve rien. Il y a bien un autre local, rempli de sacs, sacs à dos, valises, les uns sur les autres mais ils refusent de le vider sous prétexte que nos sacs n’y auraient jamais été entreposés. Bien que Manu soit persuadé du contraire, nous sommes obligés d’abdiquer.

    Les sacs prêts, nous faisons le check out de la chambre et nous squattons la terrasse jusqu’à notre départ. Nous y mangeons des barres de céréales et une pomme. Nous allons récupérer notre plaque de porte et les Crocs de Manu, ma foi satisfait de la réparation et nous attendons patiemment le taxi qui vient nous chercher pour l’aéroport.

    Nous avons pris de la marge et heureusement car nous arrivons pile poil juste deux heures avant le vol. Nous partons à 21h pour un vol en direction de Kuala Lumpur, l’escale obligée quand on veut se rendre en Thaïlande.  


    Carnet de Manu

    Ecrit le 2 décembre 2016

    Programmé trois mois environ après notre départ de France, le Népal se présentait à nous comme une étape importante, pas tant par la durée consacrée (deux à trois semaines seulement) que par la position stratégique qui lui était accordée dans notre parcours: il s’agissait de la dernière étape de montagne avant six mois de plat; d’un important changement de climat (une phase de froid sec et ensoleillé enchâssée entre des épisodes tropicaux chauds et humides); et géographiquement du plus important retour vers l’ouest avant de reprendre notre trajectoire principalement orientée vers l’est. Cette particularité en faisait l’un des éléments centraux d'un itinéraire conçu davantage comme un “patchwork” que comme l'enchaînement continu d’une succession de sites homogènes.

    De ce point de vue, cette étape a été un succès. Elle restera en effet sur bien des plans (ceux des souvenirs, des conséquences physiques, de la réorientation du parcours subséquent, de la technique photographique par exemple), comme une entité à part, nettement séparée de ce qui l’aura précédée comme de ce qui l’aura suivie.

    C’est aussi une étape qui, du moins pour ce qui me concerne, peut être subdivisée en trois périodes bien distinctes: le temps des deux étapes à Katmandou, à l’aller comme au retour, qui peuvent se résumer à une sorte de tentative de prise de repos au sein d’un univers péri-indien qui ne s’y prête guère; le temps euphorique de la montée, jusqu’à un peu au-delà de Namche Bazaar (et à un moindre degré jusqu’à l’ascension du Gokyo Ri) qui nous a vu marcher assez facilement sur des pistes beaucoup plus faciles (et fréquentées) que celles du Ladakh tout en nous donnant accès à des paysages de haute montagne spectaculaires et majestueux; et enfin le temps beaucoup plus difficile du retour par le col du Renjo La, au cours duquel nous avons buté sur nos limites physiques, atteints par le froid, la fatigue, les pépins médicaux, et l’usure des nuits passés dans les conditions d’hygiène et de confort très rudimentaires des lodges.

    Dans ces conditions, le bilan d’ensemble que nous tirons de cette étape est nécessairement contrasté. Et comme pour la majorité des autres destinations, la question de l’impact des circonstances sur ce bilan reste largement posée. Ce qui sur-déterminera mon souvenir de cette escapade himalayenne, c’est en effet sans doute mon très mauvais état de santé sur les derniers jours de parcours, qui m’ont presque amené jusqu’à l’hôpital après que j’ai dû puiser loin dans mes ressources pour redescendre du Renjo La. Mais au fond, et quoiqu'on ne le saura sans doute jamais, cet abattement était peut être la cause d’un staphylocoque doré contracté en une toute autre occasion (et durant les premiers mois de voyage, les occasions n’ont pas manqué de dormir dans des draps sales, sur des matelas poussiéreux, ou des banquettes de salles d’attente accessibles à tous), donc en fait un paramètre qui n'a au fond rien à voir avec le Népal lui-même.

    De notre point de vue, ce trek dans la vallée du Gokyo, à peu près équivalent en termes de difficulté au trek plus couru vers le camp de base de l’Everest (abrégé en EBC), n’est pas si difficile en termes de marche pure. Si l’on prend soin de neutraliser le mal des montagnes par une bonne journée d’acclimatation à Namche et une prise bien dosée de Diamox (ce que nous avons très bien réussi), si l’on a la sagesse de partir légèrement chargé (ou bien qu’on ait recours aux services d’un porteur, ou bien qu’on se contente comme nous d’un minimum d’effets personnels, soit un total oscillant entre 6 et 12 kilos par personne en fonction de l’eau emportée) tout se passe plutôt bien sur le plan cardio-vasculaire, articulaire et musculaire. Les montées sont longues et éprouvantes certes, mais cela reste gérable. Il est tout de même préférable d’éviter autant que faire se peut de s'engager sur des fausses pistes, ce qui nous est arrivé à trois reprises, pour un total de 3 heures perdues (ce qui peut, marginalement, faire basculer une étape moyenne vers une étape difficile; c’est la contrepartie de l’économie du guide).

    Pour ce qui nous concerne, nous avons un peu augmenté la difficulté en partant avec un équipement plutôt modeste de simples tourdemondistes, sans guide, sans porteur, et avec des cartes et des informations trop peu précises. Mais la plus grande difficulté est surtout venue à nos yeux des conditions de confort rudimentaires aux différentes étapes, surtout au-dessus de 4000 mètres, et principalement de la quasi-impossibilité dans bon nombre de cas d’utiliser les douches et même les toilettes, de laver son linge et surtout de dormir dans de bonnes conditions. Les chambrées se réduisent souvent à une simple boîte de contreplaqué fin, non chauffée, munie de simple vitrages disjoints, meublée de fins matelas de mousse jamais dépoussiérés posés sur des coffres de bois, et recouverts d’un drap de nylon trop court, et d’une ou deux couvertures certes lourdes et chaudes, mais qui ne peuvent à elles seules rattraper l'inconfort de l'ensemble. La salle à manger, où l’on se presse près du poêle dès qu’il est allumé, n’est en général chauffée que quelques heures par jour, et en particulier très rarement le matin, où le petit déjeuner est le plus souvent expédié dans un froid glacial, en doudoune et les mains dans les poches dès la sortie du sac de couchage. Et encore: notre impression d’ensemble est adoucie par le fait qu’au village de Gokyo, et pendant deux journées cruciales où nous nous trouvions tout au bout de notre boucle, nous avons investi dans le lodge le plus confortable que nous avons pu trouver sur place (avec eau chaude privée!) Qu’aurait-ce été sinon?

    Tout cela est très étonnant et même presque inexplicable lorsqu’on y songe: car dans l’ensemble, nous avons (et surtout moi) des exigences largement inférieures à la moyenne sur ces aspects du confort et de l’hygiène. Certes nous vieillissons, et cela se ressent sur notre capacité d’adaptation et de récupération, surtout en ce qui concerne les courbatures consécutives à une nuit passée à même le sol ou presque. Mais enfin nous sommes habitués à voyager plutôt à la dure, et ne sommes nullement intoxiqués par la propagande hygiéniste bienpensante. Et pourtant nous avons semblé souffrir plus que tous les autres de cet aspect pourtant essentiel du trek: les phases de repos à l’étape sont en effet indispensables pour la récupération de l’organisme, mais également sur le plan psychologique du fait que bien souvent, l’effort de la marche empêche en partie de profiter du paysage: il est donc important de pouvoir se détendre, reprendre tranquillement ses photos, et se remémorer les meilleurs moments de la journée avant d’aller se coucher.

    Ne remettant guère en cause le choix de notre équipement et surtout de nos Crocs qui ont bien tenu le coup (nous aurions simplement pu profiter chacun d’une paire de chaussettes supplémentaires et de sacs de couchage davantage convertibles en couverture ou offrant la possibilité de se réunir en un sac unique pour deux personnes) nous n’avons trouvé que deux explications possibles, chacune en partie satisfaisante seulement.

    1 - Explication centrée sur nous: contrairement à la très grande majorité des autres trekkeurs, nous avons abordé cette randonnée après trois mois de voyage déjà éprouvants pour le corps (cf. par exemple mes otites à répétition, et l’irruption dans les semaines précédentes de migraines et de maux de dos typiques d’une réaction de l’organisme à un excès de stress physique), et c’est peut-être cette accumulation qui a fait subitement son apparition à partir du Renjo La (l’image de la goutte d’eau qui fait déborder le vase serait alors tout à fait appropriée).

    2 - Explication centrée sur les autres: les randonneurs qui trekkent au Népal font en général les malins et finissent par se déclarer enchantés de leurs randonnées (et l'être effectivement, au point de souvent repartir), mais en fait ils galèrent autant que nous, et l’avis qu’ils émettent s’explique davantage par la théorie de la dissonance cognitive (principalement les variantes paradigmatiques de la soumission induite et du libre choix) que par un constat objectif tiré de leur expérience. A l’appui de cette hypothèse un peu iconoclaste, nous pouvons évoquer le nombre élevé de rapatriés sanitaires (les hélicoptères n’arrêtent pas de sillonner le ciel, ce n’est pas difficile à voir), et citer le témoignage étonnant d’un canadien relatant un trek vers le Gokyo objectivement particulièrement difficile et raté (l'objectif n'ayant pas été atteint et sa femme ayant failli mourir), mais le décrit au final comme la plus belle expérience de sa vie) ; en somme, comme le pressent Valérie (dans Plateforme, de Houellebecq), c’est cela qui est pratique avec les circuits aventures: les Occidentaux habitués au confort moderne voient le caractère rudimentaire des conditions de trek comme un plus, qui les renforce dans leur conviction de vivre une expérience extraordinaire (ce que dément au passage leur fréquentation même): ils sont même prêts à payer plus cher pour cela, et plus les conditions sont mauvaises, plus ils s’en déclareront satisfaits, permettant en cela aux agences ciblant les bobos, Terdav en tête, de multiplier leur marge en augmentant leurs prix tout en économisant sur les coûts !

    En contrepoint des difficultés liées à l’inconfort et au manque d’hygiène, notre circuit au Népal a été aussi marqué, et c'est plus heureux, par des circonstances climatiques particulièrement favorables: il a fait continûment beau, le ciel a toujours été bleu, du début à la fin, à peine parsemé de quelques nuages effilés sur les derniers jours de notre parcours. Nous qui avions été exceptionnellement malheureux sur ce point durant les premiers mois de notre parcours ne pouvons pas ne pas saluer ce juste retournement de situation.

    Un autre aspect positif de notre passage au Népal, indirectement lié à celui du climat, est celui du pur spectacle visuel et photographique, en particulier le soir de la sortie au Gokyo Ri, qui nous a valu un ciel dans des nuances de parme absolument magnifique au-dessus du glacier Ngozumpa et de la chaîne de l’Everest. On peut aussi citer les turquoises variables des lacs Gokyo (notamment le plus grand d’entre eux), la présence imposante sur notre droite, pendant une bonne partie de la montée, de l’Ama Dablam, cîme escarpée dominant la vallée de Namche Bazaar, et les vues répétées sur les sommets jumeaux du Lhotse et de l’Everest, que nous avons à ma surprise découvertes dès le lendemain de notre arrivée à Namche. Nous avons également eu de la chance avec la lune, certes pas encore tout à fait pleine au moment de notre passage, mais superbement synchronisée avec la tombée de la nuit, au point d’apparaître souvent au meilleur moment du crépuscule entre les blocs de montagne. Lune qui s’est trouvé par ailleurs être particulièrement grosse dans le ciel du fait de sa proximité avec la Terre (phénomène dit de super lune), et dont la lumière tamisée m’a permis de descendre sans encombre et sans lampe de poche (oubliée) du Gokyo Ri une fois la nuit (largement) tombée.

    Assez injustement, ni l’ascension (facile) du Gokyo Ri ni le passage (plus difficile) du Renjo La, d’une altitude voisine comprise entre 5400 et 5500 mètres, ne constitueront le sommet de notre tour du monde, dont la palme reviendra contre toute raison au Khardung La (5650 mètres) qui aura exigé de nous le seul mérite de commettre l’erreur de nous rendre sans effort (par la route) dans la vallée de la Nubra lors de notre escale à Leh. Nous avons toutefois eu sans doute plus qu’au Ladakh le sentiment de nous trouver en haute montagne, peut-être à cause de la plus grande proximité avec les neiges et les glaces, peut-être à cause de la disparition progressive puis définitive, à partir de Machhermo, de toute zone habitée en permanence (les lodges disséminés le long des pistes de trek ainsi que le regroupement de Gokyo n’ayant manifestement d’autre raison d’être que de servir d’infrastructure pour les randonneurs).

    La fréquentation touristique, élevée, n’a pas constitué pour nous un élément de surprise. Nous avons remarqué, grâce aux statistiques affichées sur le mur d’un des bureaux de contrôle des permis, que cette fréquentation était revenue à son point historique le plus élevé après le tremblement de terre de 2015. Il faudra sans doute attendre que la piste d’atterrissage de l’aéroport de Lukla évolue pour passer un nouveau palier, car d’après un calcul mental approximatif que j’ai fait lors d’une de nos étapes de marche, il me semble que celui-ci constitue un point d’étranglement rendant difficile de dépasser le nombre actuel de 300 arrivées par jour en moyenne haute.

    Le nombre de marcheurs peut être considéré comme modérément gênant en aval de Namche, surtout lors du croisement des caravanes de Yaks. Au-delà, sur la piste favorite de l’EBC, c’est peut-être encore le cas. Mais dans la vallée du Gokyo, et plus encore au passage du Renjo La, la surfréquentation n’est plus un problème. Ce qui est plus surprenant est la grande variété de forme physique (bon nombre de personnes en surpoids manifeste) et surtout d’âge des marcheurs: il n’y a certes pour ainsi dire pas d’enfants et pas davantage d’adolescents, et cela peut se comprendre; mais que de “seniors”, pour ne pas dire de vieillards! Nous avons, encore au-dessus de 4000 mètres, vu un grand nombre de septuagénaires, de toutes nationalités. Nous avons toujours du mal à comprendre comment ils avaient pu arriver là, et dans quel état ils avaient pu en repartir...

    Bien que ce soit secondaire, notre passage au Népal a enfin compris un séjour d’environ une semaine à Katmandou, séparé en deux parties inégales entrecoupées par notre trek himalayen. Après avoir échoué à établir un contact fructueux avec un contact de Gilles Certhoux sur place (par notre faute et non celle de l’aimable dénommé Kakhurel avec qui nous avons, mais trop tard, échangé quelques mails), nous avons échoué dans un hôtel plutôt sympathique en bordure de Thamel. A partir de cette base, et après une première sortie à pied ratée lors de laquelle nous nous sommes égarés, la faute aux invraisemblables discordances entre le plan touristique distribué à l’aéroport, celui, malcommode, du Lonely Planet, et la réalité à la sauce indienne, nous avons pu jouer quelques jours notre rôle de demi-routards à demi-errants dans un espace à demi-post-hippie. Par certains côtés cela nous a rappelé Leh, qu’on aurait agrandie et à laquelle on aurait retiré son agréable mail piéton. Le côté bordélique de la ville se rappelait cependant à nous chaque jour car compte tenu de l’emplacement de notre hôtel, nous devions pour nous rendre à Thamel traverser un rond-point particulièrement petit, fréquenté, poussiéreux et bruyant qui forme une sorte de point-frontière avec le quartier plus populaire de Chhetrapati (rond-point nous ayant d'ailleurs valu, à la suite d'un mauvais aiguillage lors de notre première sortie, de nous perdre complètement, ce qui semble avoir marqué durablement Isabelle qui dès lors a toujours eu tendance à répéter cette erreur) . Cette situation m’a cependant permis de prendre quelques unes photos de rues les plus réussies, jusque-là, de notre voyage.

    Le Népal en général, et Katmandou en particulier, m'ont aussi offert l'occasion de commencer à me ré-intéresser à l'actualité. Connexions web assez fiables aidant (à partir de notre retour à Katmandou), bonnes nouvelles politiques y encourageant, j'ai pris un certain plaisir à retrouver mes sources de (ré-)information habituelles, plus remontées et pertinentes que jamais. La divine surprise (pour moi) de la défaite de l'establishment américain, au travers de la figure honnie d'Hillary Clinton, nous a atteint lorsque nous étions à Gokyo, au travers d'une conversation feutrée entre canadiens captée par Isabelle. Sur le moment, j'ai hésité à y croire tout à fait, mais à partir du moment où l'élection de Trump a été confirmée, j'ai tenté de me connecter le plus souvent possible pour me délecter de ce qui, à mes yeux, constituait un tournant politique d'une importance bien supérieure, même pour les seuls français, à l'élection présidentielle de 2017. Comme le dit justement Drac, cette fois (au contraire de ce qui s'était produit en périphérie avec les votes anti-européens de 2008 et le Brexit de 2016), c'est le coeur du système qui est touché (les USA, sa capitale, son leadership et son peuple) et à partir de là, l'histoire s'ouvre sur une ère nouvelle et imprévisible. Dans les semaines qui ont suivi, cet intérêt renouvelé pour l'actualité politique ne s'est pas démenti, et s'est même trouvé alimenté de nouvelles informations (triomphe de Fillon à la primaire de la Droite, disparition de Sarkozy puis de Hollande du jeu politique français) tout à fait passionnantes à analyser et à resituer dans mon schéma d'analyse globale de la décomposition civilisationnelle en cours.

    Mais pour en revenir au Népal: eh bien en novembre, il commence à faire frais à Katmandou, et si l’on peut à la rigueur se balader en T-shirt à la mi-journée, il convient de déjà bien se couvrir le soir et au petit matin; il convient aussi de rechercher le soleil en grimpant (pour travailler ou prendre un repas) sur les nombreuses terrasses qui surplombent les hôtels et les restaurants, faute de quoi l’ombre froide des cours fermées et des ruelles fait rapidement oublier la présence du ciel bleu au zénith. C'est peut-être là l'un des éléments qui ont contribué à nous décider, en fin de séjour, à rompre nettement avec le programme que nous avions initialement prévu (et qui devait initialement se poursuivre ou bien au parc népalais de Chitwan, ou bien vers Benarès puis Kaziranga et Majuli) pour partir nous réchauffer, physiquement et psychologiquement, dans un pays tout à fait différent qui ne figurait pas alors au programme: la Thaïlande.

    Les "J'aime/J'aime pas" de Manu au Népal

    J'ai aimé:

  • Le panorama sur la chaîne de l’Everest le soir de la montée au Gokyo Ri +++
  • Le vol Lukla-Katmandou, magnifique et spectaculaire +++
  • La vue ensoleillée sur les lacs Gokyo, en particulier à partir de la crête surplombant le village de Gokyo ++
  • Le premier aperçu du Lhotse et de l’Everest, beaucoup mieux visibles que ce à quoi je m’attendais, à partir de l’hôtel de luxe accessible au-dessus de Namche Bazaar ++
  • La silhouette imposante de l’Ama Dablam le long du parcours ++
  • Le caractère spontanément sympathique des guides sherpas, toujours prêts à aider même les touristes indépendants qui ne sont pas leurs clients ++
  • Le coût de la vie à Katmandou lorsqu’on évite l’hyper-centre de Thamel ++
  • Les ponts de singe permettant souvent des vues plongeantes sur des gorges escarpées ou des cascades bucoliques +
  • L’effet neutralisant du Diamox sur le mal des montagnes +
  • Les grands thermos de chocolat chaud, de thé ou de café qu'on se partage dans les lodges +
  • L’accueil des hôtes népalais dans les lodges familiaux +
  • Les dal bhat (riz, légumes et soupe de lentille), les sherpas stews et les soupes à l'ail énergétiques, économIques et réconfortants +
  • La musique d’incantations tibétaines (Om Mani Padme Hum) entendue pour la première fois lors de notre nuit à Lukla, puis retrouvée comme un refrain de multiples fois ensuite +
  • Notre petit sculpteur/intermédiaire de lessive/vendeur de bracelet de Chhetrapati +
  • J'ai moins aimé:

  • Les conditions d’hygiène et le confort de couchage déplorables des lodges ---
  • L’absence de chauffage le matin ---
  • L'odeur parfois âcre de la fumée des poêles fonctionnant à la bouse de yaks -
  • Le délabrement brutal de mon état de santé après le passage du Renjo La ---
  • La difficulté d’accès à des informations fiables évitant de se perdre lors d’un trek en indépendant, et notamment de cartes détaillées et de profils d’étape précis assortis des dénivelés étape par étape --
  • Le côté trop indien et pas assez népalais (du moins dans mon esprit dont j'admets volontiers une certaines confusion sur ce sujet) de la ville de Katmandou -
  • J'ai remarqué:

  • L’absence quasi-totale de sentiment de faim lors des pauses déjeuners malgré l’effort de la marche
  • L’âge moyen très élevé des randonneurs
  • La proportion de français encore relativement importante parmi les touristes (moins qu’au Kirghizistan, au Ladakh et en Indonésie, mais plus qu’en Thaïlande)
  • La quasi absence de voyageurs au long cours parmi les randonneurs
  • Le nombre élevé de rapatriements sanitaires
  • Le bon état des pistes de trek, souvent munies de rampes ou d’escaliers de pierre, et des ponts de singe permettant une traversée des cours d’eau spectaculaire, mais parfaitement sure
  • L’aberration économique et physique du transport des marchandises à dos de porteurs
  • Si c'était à refaire:

  • Je prendrais une paire de chaussettes supplémentaire
  • J’utiliserais mon sac à viande plus souvent pour éviter d’attraper et/ou de passer au dormeur suivant un staphylocoque doré ou une cochonnerie du même genre
  • J’étudierais davantage les cartes avant chaque étape et en cas de doute sur la route à suivre, j’attendrais le passage d’un groupe pour me renseigner auprès de son guide
  • Je tenterais, au moins sur une étape, de commencer la marche plus tôt le matin et d’arriver en milieu d’après-midi et non en début de soirée, pour observer l'effet de ce changement sur la nuit et la journée suivantes