Présentation de Manu

Manu, le voyage avec plaisir mais sans illusions

Partant du principe que ceux qui nous connaissent déjà dans la vie réelle n'ont pas vraiment besoin d'une présentation de ce type, cette partie est plus spécifiquement destinée aux autres, ceux qui ne nous connaissent pas ou mal, qui pourraient se retrouver un jour à lire ces lignes.

Au risque de passer pour quelqu'un qui coupe les cheveux en quatre (ce qui serait peut-être, d'ailleurs, la façon la plus synthétique de me décrire effectivement), je voudrais d'abord faire remarquer que cette petite partie de présentation personnelle, sans doute l'une des plus banales mais aussi les plus lues d'un site de voyage, est moins innocente qu'il y paraît. Elle présente un risque analogue à celui qui nous guette aussi dans la partie consacrée à la description de nos motivations: la tentation, souvent d'autant plus forte qu'elle est peu consciente, de construire des personnages idéels, de raconter une histoire, qui soient davantage accordés à un désir fantasmé qu'à une réalité parfois bien ordinaire.

La façon la plus habituelle de se décrire, sur les blogs de voyageurs en particulier, consiste à dire quelque chose de faussement léger, comme: "Elle: Marie, espiègle et volontaire, aime le ketchup et déteste les araignées. Sa maladresse lui joue parfois des tours, mais son grand coeur lui permet de se sortir de toutes les situations. Lui: Jean, grand, costaud, est le timide de la bande. Mais son sens de l'organisation et de la bricole seront de précieux atouts pour aller jusqu'au bout de l'aventure. Il aime les grasses matinées mais ne supporte pas les plats à base d'ail."

Bon. Je trouve un peu précipité de commencer à citer Houellebecq à ce stade bien précoce de notre récit, et je promets d'essayer de ne pas en abuser à l'avenir, mais je ne connais rien de plus direct pour remettre les pendules à l'heure:

"Toute cette accumulation de détails réalistes, censés camper des personnages nettement différenciés, m'est toujours apparue, je m'excuse de le dire, comme pure foutaise. Daniel qui est l'ami d'Hervé, mais qui éprouve certaines réticences à l'égard de Gérard. Le fantasme de Paul qui s'incarne en Virginie, le voyage à Venise de ma cousine... on y passerait des heures. Autant observer les homards qui se marchent dessus dans un bocal." (Michel Houellebecq, Extension du Domaine de la Lutte)

Autre exemple:

"j'ai également eu l'occasion de me rendre compte que les êtres humains ont souvent à cœur de se singulariser par de subtiles et déplaisantes variations, défectuosités, traits de caractère et ainsi de suite - sans doute dans le but d'obliger leurs interlocuteurs à les traiter comme des individus à part entière. Ainsi l'un aimera le tennis, l'autre sera friand d'équitation, un troisième s'avérera pratiquer le golf. Certains cadres supérieurs raffolent des filets de hareng ; d'autres les détestent. Autant de destins, autant de parcours possibles." (Michel Houellebecq, Extension du Domaine de la Lutte, encore)

De telles remarques m'apparaissent comme très cruelles mais très vraies. Je ne peux donc en faire abstraction au moment de passer à la phase de l'auto-portrait. Voici ce que j'en conclus: si pour quelque raison que ce soit vous voulez vraiment avoir idée précise de qui je suis, la meilleure solution consiste à prendre connaissance de ce que je pense. J'ai en effet le sentiment d'être plus proche de mes idées que de mes caractéristiques objectivables (taille, poids, origine, profession, etc.). Autrement dit, j'ai l'impression d'être mes idées plus que l'enveloppe biologique et sociale définie qui les véhicule.

That being said, je peux tout de même en venir à un minimum de description factuelle. Je suis un quinquagénaire européen au physique ordinaire, plutôt sportif et en bonne santé, quoique désormais déclinante. Je vis en couple avec Isa depuis plus de vingt ans mais nous n'avons pas d'enfants en commun (chacun de nous a deux filles désormais adultes). J'habite dans une grande ville de l'ouest de la France, où j'exerce depuis plus de vingt-cinq ans le métier d'enseignant chercheur; ce travail me permet de gagner ma vie correctement, et j'ai toutes les raisons de supposer, au vu de mon ancienneté et de mes évaluations annuelles, que je possède les compétences requises pour l'exercer à la satisfaction de mon employeur; cette fonction professionnelle donne certes à ma vie une justification économique (dans une perspective libérale), mais aucune raison d'être existentielle ou morale, car elle s'exerce dans un environnement auquel je me sens étranger (celui des business schools) et sur lequel je porte, comme sur une grande partie du monde contemporain, un regard plutôt critique .

Mes motivations pour ce tour du monde sont de deux ordres:

A la différence de nombreux voyageurs, je ne suis pas, et c'est un euphémisme, un partisan de l'ouverture, de l'échange et du nomadisme sans limites. Si la question culturelle m'intéressait assez (ce qui n'est pas vraiment le cas), je me définirais comme favorable à un ethno-différencialisme nuancé mais affirmé, dans le sillage de Claude Lévi-Strauss ou d'Alain De Benoist, et donc aux antipodes des défenseurs de l'impératif mondialiste (qu'il s'agisse des libéraux ou des néo-impérialistes à l'oeuvre dans bon nombre d'ONG) ou des apologètes du métissage ou de la figure du "citoyen du monde". Conscient des problématiques identitaires, j'admets certes certains bénéfices possibles de la circulation, du mouvement, voire du mélange marginal des idées, des individus et des marchandises, notamment au plan individuel, mais j'en entrevois aussi clairement les risques et les limites, notamment au plan collectif.

Dans le contexte du voyage, je ne suis donc pas hostile -ce serait un comble- aux rencontres qu'il est possible de faire sur la route, que ce soit celle d'autres voyageurs ou de représentants de la population locale; je sais d'ailleurs par expérience qu'elles sont en général non seulement agréables et instructives, mais encore constitutives du voyage lui-même; mais je ne souhaite pas non plus les investir d'une valeur qu'elles ne peuvent avoir: elles ne sont, elles ne peuvent être que superficielles, asymétriques et non généralisables (et c'est probablement ce qui fait leur charme).

Par ailleurs, je ne peux m'empêcher de ressentir un certain malaise à l'idée de m'autoriser, moi, à parcourir le monde, dans le même temps qu'il me semble falloir lutter, sur le plan idéologique et politique, contre les mouvements d'échange trop rapides qui me semblent menacer le peu qui reste de cultures locales (généralisation des flux d'information liés aux tittytainment, dérèglement migratoire contraire aux intérêts des peuples, mise en place d'un gouvernement par le chaos dans l'intention de polariser le choix entre choc des civilisations et tyrannie mondialiste). Je vois bien que le tourisme de masse est le vecteur d'une forme de désenchantement et d'enlaidissement du monde, et je ne peux ignorer que mes propres choix y participent, ne serait-ce qu'à la marge. J'ai certes à coeur de ne pas adopter les pires comportements touristiques possibles (ignorance, manque de respect, ethnocentrisme, etc.) mais je ne peux nullement prétendre faire partie d'une catégorie très différente des autres visiteurs. Il existe une continuité entre tous les voyageurs du monde, du backpacker au long cours au nouveau riche exigeant et pressé: ils prennent tous le même avion, demandent les mêmes visas, veulent profiter du même soleil et aspirent à s'enthousiasmer des mêmes paysages. Quand je m'imagine en voyage, je me sens parfois comme un migrant animé de bonnes intentions, perdu en mer sur un bateau au milieu de milliers d'autres migrants dont je sais d'une part que les intentions ne sont pas toutes aussi honnêtes, et dont je réalise d'autre part que la masse démesurée empêchera de toute manière le succès de la démarche indépendamment de leurs intentions.

Dans tous les cas, au contraire de nombreux blogueurs de voyage, je ne me sens investi d'aucune mission, dépositaire d'aucun message et surtout pas d'un message de fraternité universelle qu'à mon avis personne n'attend de moi ni de quiconque, tant les discours généreux tendent de plus à plus à devenir inopérants, voire contre-productifs à force de servir de supplétifs à l'action réelle. J'essaierai en revanche en toute circonstance de respecter scrupuleusement, partout où nous passerons, à la fois les sites naturels et les populations qui les peuplent, et je n'exclus pas d'apporter une aide modeste et ponctuelle sans condition à ceux qui pourraient me sembler le mériter, comme je l'ai déjà fait à petite échelle par le passé.

Pour terminer sur une note un peu moins terne, je tiens à ajouter que je crois vraiment que l'itinéraire envisagé a tout pour nous offrir des paysages remarquables et des possibilités de découverte édifiantes, et que mon seul souhait à ce stade est que nous nous montrions capables d'être à la hauteur de ce menu de luxe en conservant à tout instant lors de notre voyage notre disponibilité d'esprit, notre ouverture au spectacle du monde, et surtout notre volonté de partager ensemble les quelques moments de bonheur qui le jalonneront.